Trois ans après l'éclatement du scandale du Libor, un tribunal de Londres a ouvert mardi le jugement d'un courtier accusé d'avoir orchestré une manipulation de ce taux de référence, premier procès du genre dans cette affaire qui a coûté des milliards aux banques et entaché leur réputation.

Ancien courtier de la banque suisse UBS puis de sa concurrente américaine Citigroup, Tom Hayes a comparu devant le tribunal de Southwark, sur la rive sud de la Tamise, à un jet de pierre de la City. Son procès devrait se poursuivre jusqu'au début août, date attendue du verdict. Il risque une peine maximale de dix ans de prison.

«Tous les banquiers veulent maximiser leurs profits mais M. Hayes l'a fait de manière malhonnête. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour manipuler le taux interbancaire connu sous le nom de Libor», a affirmé d'emblée le procureur, Mukul Chawla.

Il a ensuite accusé le financier, qui fait face à huit chefs d'inculpation, d'avoir été la tête pensante de la manipulation, motivée par la «cupidité».

Tom Hayes est arrivé au tribunal en tenant la main de sa compagne, l'air tendu, et n'a pas souhaité s'exprimer devant les journalistes. Vêtu d'un simple polo foncé et d'un pantalon clair, il a suivi le début du réquisitoire du procureur avec attention, échangeant fréquemment avec ses conseils à ses côtés.

D'après l'Office britannique de lutte contre la délinquance financière (SFO), il a orchestré de septembre 2006 à septembre 2010 un système de collusion avec d'autres courtiers des mêmes banques, mais aussi d'autres établissements, visant à influencer à leur avantage le niveau du Libor.

Ce taux interbancaire fixé à Londres sert de référence pour de nombreux produits financiers, du compte épargne le plus classique au produit dérivé complexe, en passant par les emprunts immobiliers, les crédits à la consommation, les prêts aux entreprises et aux autorités publiques. Il concerne des centaines de milliers de milliards de dollars de transactions par an à travers le monde.

Ce taux est décliné en plusieurs monnaies et les faits reprochés à M. Hayes concernent le Libor appliqué aux transactions en yen, à la fixation duquel le courtier participait en temps qu'employé d'UBS puis de Citigroup à Tokyo.

La détermination de ce taux constitue normalement un processus technique censé refléter la réalité des conditions de prêts entre les banques, mais «si vous manipulez le Libor, vous pouvez l'influencer dans votre propre intérêt», a souligné le procureur. «M. Hayes a ainsi pu élever les profits de ses employeurs dans le but d'obtenir de meilleurs bonus pour lui-même».

D'autres marchés manipulés? 

M. Hayes a plaidé non coupable, tout comme d'autres courtiers inculpés dans cette affaire et qui devraient à leur tour être jugés d'ici à la fin de l'année dans la capitale britannique. Des courtiers sont aussi poursuivis aux États-Unis pour des motifs similaires.

Le scandale du Libor, qui a touché de nombreux grands établissements financiers, avait éclaté au grand jour en 2012 lorsque la banque britannique Barclays avait révélé qu'elle devait payer 290 millions de livres pour mettre fin à des enquêtes au Royaume-Uni et aux États-Unis.

D'autres institutions financières (comme UBS, RBS ou Rabobank) ont dû depuis payer des pénalités aux autorités de régulation et institutions judiciaires, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, poumons de la finance mondiale. Dernière en date, l'Allemande Deutsche Bank a accepté fin avril de verser une amende globale de 2,51 milliards de dollars aux autorités américaines et britanniques pour échapper à des poursuites pénales.

À la suite du scandale du Libor, le Royaume-Uni a renforcé sa législation pour tenter de redorer le blason de la City, permettant d'envoyer en prison les banquiers coupables de manipulations - un changement pour lequel le procès ouvert mardi constitue un test majeur.

Depuis, les accusations de mauvaise conduite se sont étendues à d'autres plateformes, notamment au très important marché des changes, et les banques sont sous une pression accrue de la part des régulateurs.

Six grandes banques internationales ont ainsi écopé la semaine dernière d'amendes portant sur près de six milliards de dollars pour avoir notamment manipulé des taux de changes entre 2007 et 2013. Ceci a porté à plus de 9 milliards de dollars la facture totale acquittée jusqu'ici par les grands établissements dans ce nouveau scandale.