Ils avaient investi leurs capitaux sur la foi de rendements mirobolants, mais «totalement sécuritaires», avec l'assentiment d'un avocat d'une grande firme. Or, une bonne partie de leur argent a plutôt été perdue dans des placements très risqués ou dans des comptes occultes de paradis fiscaux.

Voilà le portrait qu'a dressé le juricomptable François Filion, hier, à propos des fonds confiés par 54 investisseurs à la Fondation fer de lance (FFDL) et à son promoteur, Paul Gélinas. Le juricomptable présentait son analyse dans le cadre du procès de l'avocat Jean-Pierre Desmarais, poursuivi par l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour 68 chefs d'accusation, en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.

Dans cette affaire, l'AMF soutient que Me Desmarais et Paul Gélinas ont agi comme courtiers sans détenir de permis et qu'ils ont recueilli des millions de dollars illégalement. Elle réclame la prison de même que 1 million de dollars d'amende pour chacun.

Cette affaire traîne devant les tribunaux depuis que l'AMF a fait bloquer les comptes de la Fondation FFDL, en 2009. À l'origine, près de 14 millions US avaient été recueillis, mais une partie a été remboursée avant le blocage, si bien qu'il reste environ 5 millions à distribuer. Les investisseurs réclament toutefois environ 7 millions; il manque donc 2 millions.

Parmi les investisseurs se trouve Denise Verreault, propriétaire d'un chantier maritime en Gaspésie, de même que Jacques Preschoux, des boulangeries Les Copains d'abord.

Le portrait du juricomptable de l'AMF est sidérant. Depuis une dizaine de jours, 23 investisseurs ont expliqué à la Cour avoir investi dans la Fondation parce qu'elle disait offrir de très bons rendements annuels (de 23 à 1600%) avec des fonds qui servaient des causes humanitaires.

Cabinet reconnu

En plus, ils ont dit avoir eu confiance en FFDL parce que leurs fonds étaient placés par l'entremise de l'avocat Jean-Pierre Desmarais, d'un cabinet reconnu, soit Marchand Melançon Forget (MMF). Les rencontres expliquant le concept et le dépôt de chèques avaient d'ailleurs lieu dans les locaux de MMF, à Place Ville-Marie.

Les contrats signés par Paul Gélinas et Me Desmarais sont clairs: l'argent devait rester sous le contrôle de Me Desmarais en permanence et être investi dans des placements sans risque, comme des certificats de dépôt, mais tout de même rapporter gros.

Or, le portrait du juricomptable est tout autre. Non seulement n'y a-t-il eu aucun investissement humanitaire, mais sur les 14 millions US investis à l'origine, 4,1 millions ont été transférés outre-mer, à la demande de Me Desmarais. Et sur ces 4,1 millions, l'AMF n'a récupéré que 774 000$. Une fois l'argent transféré, entre 2007 et 2009, l'avocat n'en avait plus le contrôle, explique le juricomptable.

Entre autres, 1,4 million a été transféré dans un compte bancaire de l'île de Man, à la demande de Me Desmarais. Le compte est détenu par deux inconnus appelés Ali Rahza Ahmad et Derry Frederic Grant-James. L'argent a été amalgamé à d'autres fonds, d'origine inconnue. Bien que l'AMF ait copie des états de compte, «il est impossible de savoir où est l'argent, pour l'instant, dit le juricomptable. Dans ce genre de pays, il est difficile d'avoir des documents et lorsqu'on les obtient, ils sont peu détaillés».

Le résidu des 4,1 millions, soit 2,7 millions, a été transféré dans le compte bancaire du Luxembourg d'une firme des îles Caïman appelée IFG Mutual. Une partie des 2,7 millions, soit 2,4 millions, a notamment servi à acheter deux séries de papiers commerciaux risqués, appelés Collateral Mortgage Obligation (CMO).

Au bout du compte, l'organisme a réussi à récupérer seulement 774 000$ sur les 2,7 millions. Cette somme est la valeur résiduelle d'un des deux CMO. L'AMF a perdu la trace des fonds de l'autre CMO et d'un autre 300 000$.

À l'origine, les 14 millions US avaient d'abord été placés dans des bons du Trésor américain. Compte tenu du taux de change et des intérêts, la valeur s'est élevée à quelque 17 millions CAN.

Dépenses

De cette somme, la Fondation a dépensé 1,7 million pour ses activités, notamment 300 000$ pour les voyages à l'étranger du promoteur Paul Gélinas et de Jean-Pierre Desmarais, de même que des honoraires professionnels au cabinet d'avocats Marchand Melançon Forget (303 263$). Le juricomptable estime qu'environ 800 000$ ont servi à financer le train de vie de Paul Gélinas.

Ces dépenses de l'organisme ont été puisées à même l'argent des investisseurs, même si les contrats d'investissement stipulaient clairement que ce ne devait pas être le cas.

Le cabinet d'avocats remboursera-t-il les 303 263$? «On remboursera si on y est tenu, c'est évident. On s'est servi de notre nom là-dedans. Jean-Pierre Desmarais aura à répondre», nous a dit Michel Marchand, de MMF.

Au moment du blocage des comptes, en juillet 2009, la Fondation avait remboursé 6,5 des 14 millions US aux investisseurs. Le juricomptable soutient qu'il est impossible de savoir à qui appartiennent les 14 millions, puisque les fonds ont été amalgamés. Autrement dit, certains investisseurs pourraient injustement écoper du manque à gagner, alors que d'autres ont été pleinement remboursés.

Dans sa défense, Me Desmarais soutient avoir agi seulement comme avocat de la Fondation, dont les activités ne seraient pas, par ailleurs, assujetties à la Loi sur les valeurs mobilières. Le procès se poursuit.

Une version antérieure de ce texte mentionnait que Jean-Pierre Desmarais était poursuivi par l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour 258 chefs d'accusation, plutôt que 68. Nos excuses.