Des planchers croches dans des condos neufs sont-ils les signes de défauts de structure plus graves? C'est la question que se posent des propriétaires inquiets de Mascouche. Après deux ans de litige avec l'entrepreneur sur la cause du problème et la meilleure façon de le régler, ils sont sur le point d'épuiser leur patience et leur portefeuille.

Ils se préparaient une retraite paisible dans un bel appartement d'un nouvel ensemble résidentiel de Mascouche, près d'un petit étang et d'un bois. Plutôt que la quiétude, des propriétaires de condos ont trouvé des défauts de construction préoccupants sur leurs immeubles, bâtis en 2012. Et leurs démarches pour les faire réparer leur valent une poursuite en diffamation du promoteur du projet immobilier.

Les planchers sont croches dans 60 appartements de 5 édifices des Cours du lac de la seigneurie du Chêne. Le promoteur du projet, Steve Fortin, des Habitations Euphoria, a reconnu avoir découvert cette anomalie au moment de la construction. Il soutient que le problème vient de poutres de plancher défectueuses et que la structure des immeubles est sécuritaire.

Mais les propriétaires, en plus de déplorer n'avoir pas été mis au courant au moment de l'achat, s'inquiètent maintenant de l'apparition de lézardes et d'autres problèmes, inquiétudes confirmées par le rapport d'un ingénieur en structure.

«On craint pour notre sécurité parce que des fissures s'aggravent et on sent des vibrations tous les jours, qui laissent croire que la structure travaille», dit Yves David, président du syndicat de copropriété de l'un des immeubles. Les planchers semblent ployer sous le poids des cuisines et salles de bains, qui se trouvent au centre des édifices, selon les propriétaires préoccupés.

À la suite de plaintes de deux des syndicats de copropriété touchés, la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) a demandé une attestation de sécurité, pour s'assurer que les immeubles étaient conformes aux normes, une démarche plutôt rare. L'ingénieur du promoteur a fourni le document le mois dernier. Le plan de garantie Qualité Habitation, qui couvre les immeubles contre les défauts de construction, a aussi mandaté un ingénieur pour vérifier la structure de l'immeuble, sans trouver quoi que ce soit de dangereux.

Rapport alarmant

Mais les copropriétaires sont préoccupés par le rapport de leur propre expert. «Les solives de la travée centrale du rez-de-chaussée ne rencontrent pas les exigences du Code de construction en termes de résistance», indique l'ingénieur Paul Croteau, qui recommande des travaux rapides pour les consolider en installant des poutres d'acier dans le stationnement souterrain. «Si ces travaux ne sont pas entrepris à court terme, un étaiement temporaire est requis dans les stationnements, car la réserve de capacité du plancher du rez-de-chaussée est très faible», ajoute-t-il.

Or, l'entrepreneur ne prévoit pas de tels travaux, mais seulement une correction de la pente des planchers, ce que préconise aussi Qualité Habitation. Les immeubles sont solides et stables, assure le président des Habitations Euphoria, Steve Fortin. «Si ça bougeait, on aurait des bris, des céramiques qui cassent, et les clients nous demanderaient des réparations», dit M. Fortin.

L'entrepreneur, tout comme Qualité Habitation, estime que les problèmes sont limités aux rez-de-chaussée des cinq édifices. Mais les copropriétaires affirment que les pentes anormales aux étages supérieurs doivent aussi être réparées.

Les fléchissements viennent d'un défaut des poutres de planchers, fournies par la compagnie Fermetec, de Terrebonne, explique Steve Fortin. «Les poutrelles ont été fabriquées à l'envers, ce qui explique leur déflexion plus forte, dit-il. Mais elles ont la capacité requise pour soutenir la charge de l'immeuble.»

Poursuites en série

Euphoria poursuit d'ailleurs Fermetec pour 1 million, soit le coût estimé des travaux de nivèlement des planchers, de remplacement des revêtements de sol et autres. Le président de Fermetec, Michel Trudeau, n'a pas répondu à notre demande d'entrevue.

Habitations Euphoria poursuit aussi en diffamation, pour 450 000$, Yves David, Luc Jeanson et cinq autres copropriétaires, disant qu'ils incitent les autres copropriétaires à se plaindre au plan de garantie, qu'ils traitent le promoteur de «voleur» et disent aux acheteurs potentiels «que l'ensemble du bâtiment est croche, voire sur le point de s'écrouler».

Les copropriétaires dénoncent cette manoeuvre. «C'est carrément une procédure bâillon», dit Me Yves Joli-Coeur, l'avocat des syndicats de copropriété, qui demande au tribunal de sanctionner l'entrepreneur pour abus de procédures.

Euphoria poursuit aussi en diffamation un projet immobilier voisin, alléguant que son vendeur dénigre la qualité de ses condos auprès des acheteurs potentiels. Ce promoteur a déposé une requête en irrecevabilité à ce sujet.

Le promoteur Steve Fortin dit que toute cette affaire nuit à ses ventes. «J'ai perdu 1,6 million! lance-t-il. Je ne peux pas entrer dans les détails parce que c'est en cour, mais je peux vous dire que jamais je ne laisserai ternir ma réputation, que j'ai mis 30 ans à bâtir.»

Les deux syndicats insatisfaits déplorent, de leur côté, les dépenses considérables qu'ils doivent assumer, alors qu'ils sont constitués majoritairement de retraités.

«On est rendus à plus de 100 000$ de frais légaux et d'expertise, dit Yves David. Ça m'arrache le coeur de demander des cotisations spéciales pour payer ça. Il y en a qui braillent, parce qu'ils ont un budget serré.» Chaque copropriétaire a dû débourser 5000$ jusqu'à maintenant à cause de cette affaire.

«Et on ne peut pas revendre notre unité, parce que c'est nous qui risquons de nous faire poursuivre», note Luc Jeanson, président de l'autre syndicat de copropriété.

-------------------

Pas de risque pour la sécurité, dit la RBQ

La Régie du bâtiment du Québec (RBQ) et Qualité Habitation, le plan de garantie qui couvre les condos des Cours du lac de la seigneurie du Chêne, ont été interpellés par les copropriétaires inquiets. Que peuvent-ils faire dans une telle situation? Voici ce qu'ils nous ont répondu.

Q Les résidants ont-ils raison de s'inquiéter pour leur sécurité?

R Qualité Habitation a mandaté son propre ingénieur pour vérifier la structure des immeubles. La RBQ a aussi demandé une attestation de sécurité à l'ingénieur de l'entrepreneur, obtenue le 18 mars. «S'il y avait un problème, on demanderait l'évacuation des résidants et l'installation d'un périmètre de sécurité», dit Sylvain Lamothe, porte-parole de la RBQ.

Q Qui tranchera au sujet des travaux correctifs à entreprendre?

R Qualité Habitation, le plan de garantie des membres de l'Association de la construction du Québec (ACQ), a conclu qu'il fallait niveler les planchers seulement pour les appartements au rez-de-chaussée. Les plaignants n'étant pas satisfaits de cette solution, l'affaire a été portée en arbitrage. «On a aussi demandé à notre ingénieur de vérifier les hypothèses soulevées par l'ingénieur des copropriétaires, souligne Jean-Louis Dubé, directeur général de Qualité Habitation. Mais selon nous, il a soumis un rapport suggestif et alarmiste.» En fin de compte, c'est l'arbitre qui tranchera, quand il aura en mains tous les éléments. «À la suite de la décision, on va superviser le travail de l'entrepreneur pour s'assurer que les travaux correctifs sont bien faits», ajoute M. Dubé.

Q Pourquoi est-ce si long?

R Qualité Habitation souligne que les copropriétaires ont ajouté plusieurs éléments à leur plainte depuis le début, ce qui a retardé les procédures. De plus, comme Euphoria poursuit Fermetec, son fournisseur de poutrelles, l'assureur de ce dernier veut aussi faire ses propres expertises, parce qu'il pourrait éventuellement devoir assumer la facture des travaux. Bref, «plus il y a d'intervenants dans le dossier, plus c'est complexe et long», dit Jean-Louis Dubé. Mais avant d'entreprendre des correctifs, aussi bien s'assurer d'avoir tous les éléments en main pour bien régler le problème, ajoute-t-il.

---------------

Les Cours du lac

> Les Cours du lac de la seigneurie du Chêne, Mascouche

> Construits par Habitations Euphoria en 2012

> 13 immeubles de 12 logements chacun, sur 3 étages

> Cinq des immeubles ont des planchers croches

> Un 14e immeuble à construire

> Condos de deux chambres à coucher, vendus de 250 000 à 300 000$