Le magasin d'articles de décoration Kasa Living, des Promenades Saint-Bruno, est flambant neuf. Ses luminaires modernes, ses petits meubles et ses coussins colorés cachent toutefois une réalité plus sombre. Celui qui l'a construit affirme être dans une situation financière précaire. Ayant terminé les travaux 15 jours avant que le détaillant ne se place à l'abri des ses créanciers, il n'a jamais été payé.

«On est dans des sables mouvants jusqu'au cou et on n'a pas de corde pour s'en sortir», déplore Jocelyn Dagenais. Son entreprise, Navedco, se spécialise dans la construction et l'aménagement de magasins. C'est lui qui a construit les trois magasins Kasa Living, cette nouvelle enseigne lancée par les propriétaires des Produits Aromatiques Clair de Lune, les frères Albert et Jimmy Levy.

Selon des documents produits par le syndic Litwin Boyadjian en décembre, la créance de Navedco s'élève à près de 180 000$. Dans une poursuite déposée en janvier contre Clair de Lune, l'entrepreneur en construction réclame 247 315$. Navedco a aussi enregistré une hypothèque légale à l'encontre du propriétaire des Promenades Saint-Bruno (Ontrea, mieux connu sous le nom Cadillac Fairview) qui, à son tour, a déposé une requête pour faire radier cette inscription.

L'entrepreneur Jocelyn Dagenais se serait bien passé de toutes ces procédures. Et de cet important trou dans ses états financiers. «Ça met énormément de pression sur ma famille, qui est très affectée. Surtout que ces temps-ci, dans la construction commerciale, c'est mort. Et ça me donne une mauvaise cote auprès de mes sous-traitants», résume-t-il, au bout du fil.

Quand il a appris que Clair de Lune s'était placé à l'abri de ses créanciers, le 6 décembre, Jocelyn Dagenais s'est senti «un peu démoli». Il avait terminé la construction du Kasa Living le 21 novembre. Rien ne pouvait lui laisser croire que son client avait des problèmes financiers, soutient celui qui se dit aujourd'hui «indigné» par «ce processus plus que douteux».

«Tous mes profits de l'année étaient dans ce projet-là. Juste avant les Fêtes, ça m'a mis à plat», ajoute l'homme d'affaires. En raison d'un «effet domino», il est courant que les entrepreneurs en construction récoltent leurs bénéfices sur leurs derniers projets d'une période donnée, explique-t-il.

Bonne foi

Dans sa poursuite contre les frères Levy, M. Dagenais affirme avoir conclu avec eux un contrat «alors qu'ils savaient ou auraient dû savoir que l'état d'insolvabilité de Clair de Lune résulterait en un défaut de payer». À son avis, ils ont «contrevenu à leur devoir d'information et à leur obligation d'agir de bonne foi», «ont été négligents» et ont «manqué à leur devoir de diligence».

Invité à commenter ces allégations, Albert Levy a affirmé que Navedco n'avait pas «fait son travail comme il faut» avant de nous diriger vers son avocat, qui n'a pas voulu répondre à nos questions.

Jocelyn Dagenais se dit par ailleurs en droit de toucher l'allocation de 83 000$ promise par Cadillac Fairview à son locataire pour aménager son commerce. Sur ce point, les protagonistes s'entendent. «Je leur ai dit de donner l'allocation à Navedco», affirme Albert Levy.

La Presse Affaires a révélé à la mi-mars que les frères Levy avaient racheté les actifs - mais pas les dettes - de leur entreprise, et qu'ils prévoyaient continuer d'exploiter 44 magasins sur 66 et conserver plus de 400 employés. Dans le jargon du milieu, c'est ce qu'on appelle un «flip». Une offre doit être faite aux créanciers le 1er mai. Les dettes de Clair de Lune s'élèvent à 10 millions.