Grains Lac Supérieur (GLS) est maintenant en faillite. Le juge Louis Dionne ne lui a pas accordé plus de temps pour présenter une proposition à ses créanciers, au terme d'une longue audience tenue hier, au palais de justice de Trois-Rivières.

«C'est trop peu, trop tard. C'est comme vouloir insuffler de l'air à un cadavre», a dit le juge, après avoir délibéré pendant une trentaine de minutes.

Cette audience a permis d'apprendre de nouveaux détails dans la rocambolesque histoire de GLS. Notamment que les états financiers étaient «falsifiés depuis au moins 2009».

Manoeuvres comptables

«Au début, il [le comptable Guy Bureau] cachait une balle de baseball, ensuite, c'est devenu un ballon de soccer. Au bout du compte, c'était devenu une montgolfière», a témoigné Dominic Picard, de PricewaterhouseCoopers (PwC), qui agit à titre de syndic à l'avis d'intention dans cette affaire.

«En 20 ans de pratique, je n'ai jamais vu une telle falsification d'inventaires dans des livres comptables», a-t-il ajouté.

Les manoeuvres comptables avaient peut-être commencé avant 2009, mais Dominic Picard n'a pas reculé plus loin dans le temps pour vérifier, a-t-il expliqué au juge. Pour le moment, les motivations du comptable, qui semblait agir seul, ne sont pas connues. Il ne s'en serait pas mis plein les poches. «Il voulait uniquement couvrir les pertes», croit le représentant de PwC.

Dominic Picard et l'ex-PDG de GLS, Gilles Morin, ont aussi raconté comment la société mère de GLS, une entreprise privée de Toronto appelée Upper Lakes Group, avait fini par apprendre la véritable situation financière de sa filiale. Pressé de questions, le comptable Guy Bureau est tombé en congé de maladie au début de septembre. Après un mois de «silence radio» car il était hospitalisé, il a demandé à parler à Upper Lakes. Au cours d'une conférence téléphonique tenue dans un bureau d'avocat, le comptable est passé aux aveux. Et a réclamé l'immunité, ce qui ne lui a pas été accordé par son employeur.

«Il a dit qu'il avait falsifié les registres comptables durant un certain nombre d'années. Lors de cette rencontre, on a parlé de dizaine de millions, mais ça n'a jamais été clair si c'était au singulier ou au pluriel», a poursuivi Dominic Picard, qui n'avait pas révélé ces détails dans son premier (et unique) rapport déposé au tribunal. C'est à ce moment (mi-octobre) que PwC a obtenu le mandant de dresser le portrait de la situation financière. Le trou était d'environ 37 millions.

«Pomme contaminée»

Ces révélations ont provoqué une série de conséquences, comme l'a dévoilé La Presse Affaires hier. À commencer par l'annulation de la vente de l'entreprise. Au cours de l'été, Upper Lakes avait conclu une entente de principe avec la Commission canadienne du blé pour lui vendre GLS. Quand elle s'est rendu compte que l'entreprise trifluvienne était «une pomme contaminée», l'accord est tombé à l'eau. Et Upper Lakes a décidé de procéder à une liquidation ordonnée des actifs de sa filiale.

La Coop fédérée était «l'acheteur naturel», vu son expertise dans le secteur du grain, mais la transaction n'a pas fonctionné pour une question de «confiance», a révélé Dominic Picard. La coopérative a tout de même obtenu l'exclusivité pour acquérir certains actifs après des négociations entreprises en novembre et auxquelles le PDG de GLS, Gilles Morin, a participé.

Upper Lakes a mis fin aux activités de GLS et congédié sa quinzaine d'employés à la mi-décembre. Le 2 janvier, l'entreprise s'est placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Sept créanciers contestent

Hier, GLS s'est présentée en Cour supérieure pour obtenir plus de temps pour faire une proposition à ses créanciers. L'entreprise réclamait 45 jours additionnels, ce qui nous amène au 20 mars.

Sept créanciers s'y sont opposés, arguant que le but de la Loi sur la faillite est de poursuivre ses activités et de faire une proposition aux créanciers ordinaires. «Dans le dossier qui nous occupe, c'est clair que l'entreprise ne reprendra jamais ses activités [...]. Il y a 165 millions de créances garanties, et la valeur des actifs est de 6 millions. Va-t-on faire une proposition aux créanciers ordinaires? Voyons, ce n'est pas sérieux!», a lancé l'avocat Daniel Desaulniers, qui représente Agri-Marché, de Saint-Isidore de Dorchester.

Le juge «perplexe»

En interrogeant l'ancien PDG, Gilles Morin, les trois avocats représentant les sept créanciers ont tenté de savoir pourquoi GLS a vendu des milliers de tonnes de grains à La Coop alors que leurs clients, qui avaient prépayé du grain, ne l'ont jamais reçu. Ils l'ont aussi questionné au sujet d'une hypothèque universelle qu'il a signée le 31 décembre, deux jours avant le dépôt de l'avis d'intention, pour comprendre «où était l'urgence».

Il a répondu que la décision venait d'Upper Lakes et qu'il a agi, étant donné qu'il était «disponible» pour le faire. Le juge a dit que cette explication le laissait «perplexe». Les avocats des créanciers ont aussi remis en question l'achat de grains pour remplir deux bateaux qui ont quitté le port de Trois-Rivières à la fin de novembre afin de démontrer «la mauvaise foi de GLS». Les meuniers qui auraient «rempli» ces navires n'ont pas été payés.