«C'est bientôt Noël. Mes enfants vont me demander des cadeaux. Je fais comment ?», se désole Esmeralda Inglés venue, sans l'avouer à son mari et à ses enfants, prendre son petit déjeuner dans le centre d'accueil Caliu de Barcelone et chercher de quoi les nourrir.

Après trois ans sans emploi et la fin des indemnités de chômage, Esmeralda a dû recourir à l'aide de cet établissement ouvert depuis trois ans et géré par des bénévoles, dans ce quartier modeste de Horta.

Chaque matin, après avoir mené les enfants à l'école, elle vient dans ce réfectoire qui, loin de voir les effets d'une timide reprise célébrée par les autorités espagnoles et les marchés, ne désemplit pas. Au contraire.

«Notre plus grand succès serait de fermer, mais malheureusement nous avons plus de travail chaque jour», explique Josep Lluís Espunya, un avocat responsable du centre qui distribue nourriture et vêtements.

Un récent rapport du Conseil de l'Europe a relevé le «développement inquiétant de la pauvreté des familles» qui menace un cinquième des 47 millions d'habitants en Espagne et «le taux croissant de pauvreté chez les enfants» (30,6 % en 2011).

Un bilan dû en partie à un chômage touchant quasi 26 % des actifs et dont le centre Caliu vit tous les jours les conséquences.

Esmeralda, comme de nombreux autres, se retrouve sans le sous une fois payées les factures dans un pays qui est le troisième de l'Union européenne où l'électricité coûte le plus cher, pour un salaire minimum de 752 euros sur 12 mois.

Avec ses trois enfants de 10, 8 et 3 ans et son mari, ses factures d'eau, de gaz et d'électricité s'élèvent à au moins 100 euros par mois auxquels s'ajoutent 600 euros de loyer, explique Esmeralda.

«Il y a des fois où nous restons une semaine et demie sans lumière ou sans gaz parce que nous ne pouvons pas payer». Et «j'ai peur, quand j'ouvre la boîte aux lettres, d'y trouver de nouvelles factures», confie-t-elle.

Selon un sondage de la société Intrum Justitia, un tiers des Espagnols n'ont plus d'argent après avoir acquitté leurs factures.

Voyant se multiplier ce type de situation, le gouvernement de Catalogne, grande région nord-ouest de l'Espagne, a décidé d'interdire les coupures d'énergie pendant l'hiver pour les familles les plus vulnérables.

Cette mesure a été rejetée au niveau national par le gouvernement et le parti conservateur au pouvoir.

«J'imagine que pour eux la crise est déjà terminée, à supposer qu'ils l'aient un jour connue», ironise Esmeralda.

Miquel Torrecilla, l'un des volontaires du centre qui sert le café, préférerait lui aussi un autre sort.

Après avoir perdu son travail de peintre en bâtiment, il s'est retrouvé à la rue avec sa femme, et a fini par retourner chez ses parents.

«Cela m'a beaucoup coûté de venir ici demander de l'aide. Ça te donne vraiment l'impression d'être inutile: avoir 35 ans et ne pas pouvoir trouver de travail», explique-t-il.

Sa femme et son fils vivent avec sa belle-mère à Saragosse, à 300 kilomètres. Dès qu'il peut, il va les voir en bus.

«C'est dur de vivre loin d'eux, mais je veux que mon enfant reste en dehors de tout ça», dit-il.

D'habitude, Esmeralda ne vient que quand les enfants sont à l'école, mais aujourd'hui, elle a dû se résoudre à emmener la plus jeune qui souffre de la varicelle.

Assise sur les genoux de sa mère, elle est devenue l'attraction du jour et regarde l'assemblée tout en buvant son chocolat, sous le regard souriant d'Esmeralda qui malgré la situation transmet résolument son optimisme.

«Je suis mère de trois enfants. Si je passe ma vie chez moi à pleurer, je vais leur transmettre ma tristesse», dit-elle. «Et ça, ce n'est pas possible».