Réussir à prouver qu'une agence de voyages a plagié la chronologie, les visites et même les spectacles compris dans un circuit de plusieurs jours élaboré par son concurrent tout en brandissant la carte du droit d'auteur n'est pas une mince affaire.

C'est pourtant ce qu'a tenté de faire l'agence Voyages Lambert en obtenant une injonction interlocutoire temporaire contre Incursion Voyages, qui aurait fait un «copier-coller» de son itinéraire de 21 jours en Indonésie. L'entreprise accuse son concurrent de plagiat en vertu de la Loi sur le droit d'auteur.

Une croisade difficile

Préoccupée par la question de la propriété d'un circuit, elle souhaite même que son cas fasse jurisprudence afin «de protéger les intérêts» des gens de l'industrie. La croisade s'annonce toutefois difficile, puisqu'il n'y a en effet aucune façon de «protéger un voyage», affirme pour sa part Richard Gold, professeur à la faculté de droit de l'Université McGill.

Découverte de la capitale indonésienne, Jakarta, visite de Borobudur, le plus grand temple bouddhiste du monde, incursion dans des ateliers de tissus, observation du lever du soleil au belvédère de Penanjakan, voilà un aperçu du circuit de trois semaines élaboré de toutes pièces par l'agence Voyages Lambert.

Celui-ci aurait été repris à la lettre - dans le même ordre chronologique - par son concurrent.

C'est du moins ce qu'affirme Éric Beaumier, propriétaire de Voyages Lambert. C'est à la fin du mois de septembre que M. Beaumier est tombé par hasard sur la brochure d'Incursion Voyages, qui n'avait jamais offert de circuits en Indonésie auparavant. Il a immédiatement reconnu le tour qui figure à sa programmation depuis trois ans.

«C'est une copie carbone de notre voyage, a lancé sans détour M. Beaumier, au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse Affaires. Ce qui distingue un circuit d'un autre, ce sont les visites, l'ordre dans lequel on les fait et comment on les fait. Ils ont les mêmes visites de sites, de boutiques, sur 21 jours, ce n'est pas du hasard.» Il a ajouté du même souffle qu'il a mis beaucoup de temps et d'énergie dans l'élaboration de ce voyage, notamment en envoyant des gens sur place pour établir des contacts. «Ils n'ont même pas tenté de le remanier pour camoufler un peu», ironise-t-il.

Départ d'un employé

Autre élément important: un ancien employé de M. Beaumier s'est récemment joint à l'équipe d'Incursion Voyages et il aurait lui-même été désigné comme accompagnateur pour le fameux circuit indonésien.

Devant ces faits, le propriétaire de Voyages Lambert a donc demandé une injonction, après avoir contacté l'autre agence afin d'essayer d'y voir plus clair. Il a ainsi obtenu une ordonnance provisoire de la Cour supérieure du Québec, obligeant Incursion Voyages à retirer - temporairement du moins - ce circuit de sa programmation.

Déterminé à défendre le droit d'auteur, Éric Beaumier a entrepris d'autres démarches pour que cette ordonnance soit permanente et demande également un dédommagement punitif de 15 000$. Le dossier est maintenant entre les mains des avocats.

Interrogé par La Presse Affaires à ce sujet, le propriétaire d'Incursion Voyages, Jean-Pierre Caron, estime qu'il s'agit d'une «tempête dans un verre d'eau». S'il affirme que le circuit n'est pas une copie de ce qu'offrait déjà Voyages Lambert, M. Caron assure qu'il a retiré son annonce et qu'il n'est pas de «mauvaise foi».

«On ne réinvente pas la roue dans notre domaine, tient-il toutefois à ajouter. Il y a une suite logique dans la façon d'organiser un circuit. Les grands tours d'Italie se ressemblent, comme les grands tours d'Espagne. Il [Éric Beaumier] se fait missionnaire d'une cause qui n'en est pas une. Son mandat, c'est de faire voyager, pas de faire de la jurisprudence.»

La mission que s'est donnée M Beaumier n'est effectivement pas simple. «En général, on ne peut pas protéger le voyage, affirme Richard Gold. C'est un peu comme une recette de cuisine. On ne peut pas protéger l'idée. On peut protéger l'expression, la façon de décrire le voyage, par exemple, ou encore les photos que l'on utilise pour l'illustrer.»