Le français Fabrice Tourre, ex-courtier de la banque américaine Goldman Sachs, a été jugé coupable de fraude boursière jeudi à New York lors de son procès face au gouvernement américain, l'un des plus en vue depuis la crise financière.

M. Tourre, 34 ans, a été jugé «responsable» dans six chefs d'inculpation sur sept, au bout de près de deux jours de délibérations et près de trois semaines de procès.

Il était accusé notamment de fraude boursière, gains illicites, négligence, tromperie intentionnelle, ou encore d'avoir aidé son ex-employeur Goldman Sachs à commettre des infractions.

Le régulateur boursier américain (SEC) avait porté plainte contre M. Tourre et Goldman en mai 2010, les accusant d'avoir trompé des investisseurs lors de la vente de produits financiers complexes adossés à des prêts hypothécaires risqués (subprime).

Goldman Sachs a versé 550 millions de dollars il y a trois ans pour mettre fin aux poursuites de la SEC, sans reconnaître sa culpabilité. Elle avait choisi l'option d'un accord amiable coûteux pour s'épargner de longs mois de mauvaise presse et une éventuelle condamnation.

M. Tourre a lui fini par aller au procès. Ses avocats affirmaient qu'il avait «refusé de s'agenouiller devant une puissante organisation gouvernementale» et voulait «laver son nom». Leurs arguments n'ont pas convaincu les neufs jurés.

M. Tourre, qui a quitté le tribunal sans s'exprimer devant les journalistes, pourrait faire appel. Ses avocats n'ont pas non plus fait de commentaire.

«Nous sommes heureux du verdict du jury qui a jugé M. Tourre coupable de fraude. Nous allons continuer à vigoureusement chercher à rendre responsable et à amener devant la justice si nécessaire ceux qui ont commis des fraudes à Wall Street», a réagi pour sa part la SEC.

La peine reste à décider. M. Tourre risque une forte amende et la restitution des gains mal acquis, assortis d'une interdiction d'exercer des fonctions liées aux marchés.

La SEC lui reprochait en particulier d'avoir dissimulé le rôle de l'investisseur John Paulson, qui pariait sur l'effondrement du marché résidentiel américain, dans la conception d'un produit financier adossé à des crédits «subprime», l'Abacus, en 2007, peu avant la crise.

M. Paulson a pris une part active, par l'intermédiaire de Goldman, dans la sélection des crédits en question et ce rôle a été selon la SEC caché à un intermédiaire qui était cité comme chargé de former le portefeuille d'actifs final, ACA, et de les vendre à des investisseurs. Ces derniers, les banques néerlandaise ABN-Amro et allemande IKB, ont perdu des centaines de millions de dollars tandis que John Paulson engrangeait un milliard.

Les avocats de la SEC se sont employés à dépeindre M. Tourre comme un courtier expérimenté qui a «choisi» de mentir par appât du gain.

«C'était une transaction à 1 milliard de dollars pour nourrir l'avidité de Wall Street», a lancé l'avocat de la SEC, Matthew Martens, aux jurés.

Une victoire cruciale pour la SEC

Les avocats de M. Tourre ont tenté à leur tour de le dépeindre comme un subordonné alors âgé de seulement 28 ans qui n'avait fait que «respecter les normes de l'époque», tout en jugeant «ridicule» de dire qu'ACA ou les acheteurs de l'Abacus ne connaissaient pas la position de John Paulson sur les subprime, alors qu'elle faisait les gros titres de la presse financière à l'époque.

Cette victoire était jugée cruciale pour la SEC, vertement critiquée pour avoir été incapable d'empêcher la crise et de faire condamner des responsables de la crise.

«Cela va remonter le moral de la SEC», a estimé Jakob Frenkel, avocat spécialisé dans les affaires boursières.

Pour Anthony Sabino, avocat et professeur de droit à l'Université Peter Tobin College of Business, ce sont les courriels de M. Tourre qui lui ont fait le plus de tort: beaucoup étaient personnels et destinés à sa petite amie mais il s'y décrivait comme «Fab' le fabuleux», vendant des «monstruosités» à des investisseurs qui «ne vont pas faire de vieux os».