En rejetant une plainte contre Visa et MasterCard, le Tribunal de la concurrence a refusé hier de donner le droit aux commerçants d'imposer des frais aux clients qui paient par carte de crédit. Mais le débat n'est pas clos pour autant, et les consommateurs ne savent pas encore s'ils y trouveront leur compte.

Le gouvernement fédéral entend examiner les façons de faire des émetteurs de cartes de crédit, engagés dans un bras de fer avec les détaillants, qui dénoncent les frais élevés qu'ils doivent payer sur chaque transaction par carte.

«J'ai demandé une réunion extraordinaire du Comité consultatif du ministère des Finances sur le système de paiement pour discuter de cette affaire ainsi que des prochaines étapes, a indiqué le ministre des Finances, Jim Flaherty, dans une déclaration diffusée à la suite de la décision du tribunal. Les propriétaires de petites entreprises et les entrepreneurs du Canada, qui sont créateurs d'emplois et génèrent la croissance économique, méritent, tout comme les consommateurs, de recevoir une information claire et d'être assujettis à des règles équitables et transparentes au sujet du système de paiement qu'ils utilisent.»

Plainte déposée en 2010

Visa et MasterCard étaient visées par une plainte déposée en 2010 par le Bureau fédéral de la concurrence, qui les accusait de pratiques anticoncurrentielles, estimant que les règles imposées aux commerçants étaient trop strictes et que les frais exigés étaient exagérés: de 5 à 6 milliards de dollars par an, parmi les plus élevés du monde.

Le Bureau demandait que les commerçants aient le droit de refiler aux utilisateurs de cartes de crédit les frais imposés par les deux entreprises émettrices, en plus de pouvoir refuser les cartes "privilège", pour lesquelles les frais sont plus importants.

Les marchands paient aux émetteurs de cartes des frais qui varient de 1,5% par transaction pour les cartes de base à 3,0% pour les cartes offrant des programmes de récompenses.

Visa et MasterCard sont évidemment satisfaites de la décision du tribunal, tout comme l'Association des banquiers canadiens, qui l'a présentée comme une victoire pour les consommateurs. Mais tous ne sont pas du même avis.

Si le tribunal s'était rendu aux arguments du Bureau de la concurrence, les utilisateurs de cartes de crédit auraient pu voir des frais ajoutés à leur facture, une possibilité dénoncée par certaines associations de consommateurs. Cependant, le système actuel fait en sorte que les détaillants compensent ces coûts en augmentant l'ensemble de leurs prix.

«Ces frais sont intégrés dans les prix, on ne se le cachera pas, reconnaît Léopold Turgeon, PDG du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD). En bout de ligne, ce sont tous les consommateurs qui paient.»

«Ceux qui paient comptant parce qu'ils veulent éviter l'endettement se retrouvent à payer leurs produits plus cher, note Philippe Viel, porte-parole de l'Union des consommateurs. Ils paient pour les privilégiés qui détiennent des cartes offrant des récompenses. Ce n'est pas équitable.»

Le CQCD ne souhaite pas nécessairement que les clients doivent payer pour utiliser leur carte de plastique ou que certains types de cartes soient refusés. «On voudrait plutôt un règlement pour limiter les frais excessifs exigés par Visa et MasterCard, dit Léopold Turgeon. On est pris avec un duopole qui contrôle le système de cartes de paiement.»

M. Turgeon ne comprend pas que les frais soient si élevés au Canada, alors qu'ils varient généralement de 0,5 à 1,8% ailleurs dans le monde.

Effet négatif sur la concurrence

La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI), qui siège au Comité consultatif du ministère des Finances sur le système de paiement, entend s'assurer que les choses n'en restent pas là. Surtout que le Tribunal a reconnu que les pratiques des deux géants du paiement par carte avaient un effet négatif sur la concurrence.

La vice-présidente de la FCEI pour le Québec, Martine Hébert, souligne que Visa et MasterCard ont réduit les frais de traitement aux États-Unis, à la suite d'une entente hors cour avec les détaillants l'année dernière. «Je ne vois pas pourquoi ils n'accepteraient pas de faire la même chose ici», dit-elle.

Elle souhaite aussi que le comité fédéral se penche sur la question des frais pour le paiement mobile, notamment à l'aide d'un téléphone cellulaire, une technologie qui risque de gagner en popularité dans les années à venir.