Même si elles traînent, les négociations en cours entre le Canada et l'Union européenne en vue de conclure un Accord économique et commercial global (AECG) risquent de transformer les règles de propriété intellectuelle (PI) en place au Canada.

Surtout qu'elles créeront un précédent pour la conclusion d'un accord au sein du Partenariat Trans-Pacifique (PTP) dont font aussi partie les États-Unis et le Mexique, nos partenaires dans l'Accord de libre-échange nord-américain.

L'exercice est particulièrement délicat en ce qui concerne les brevets dans l'industrie pharmaceutique. «Le défi est de découvrir la manière de parvenir à une heureuse conclusion des négociations tout en équilibrant les importants objectifs économiques et de santé publique nationale», écrivent Stefania Bartucci et Laura Dawson dans leur récente étudeStrong Medicine: Can Free Trade Agreements Cure Canada's Pharmaceutical Ills? (Une cure radicale: les accords de libre-échange peuvent-ils guérir les maux pharmaceutiques du Canada?).

Cette recherche est la troisième de la sériePilules, brevets et profits publiée par l'institut Macdonald-Laurier d'Ottawa.

Les auteures font bien ressortir les particularités de l'industrie pharmaceutique canadienne: des multinationales qui détiennent des brevets lucratifs sur les médicaments d'origine et embauchent 15 000 personnes, des sociétés qui produisent, vendent et exportent des médicaments génériques (11 000 personnes) et quelque 180 petites sociétés de biotechnologies spécialisées dans la recherche.

En échange d'une prolongation à 20 ans de la vie d'un brevet, les premières s'étaient engagées à réaliser beaucoup de recherche et développement (R et D) au Canada, mais la portion de leur chiffre d'affaires consacrées à cette fin n'a cessé de diminuer depuis le début du siècle. Au point où le Canada figure de parent pauvre du G7 à cet égard, bon avant-dernier devant l'Italie.

Les auteurs relèvent que la concentration à l'échelle mondiale survenue dans l'industrie a centralisé la prise de décision en matière de R et D, ce qui n'a pas avantagé le Canada.

Doit-on dès lors avantager davantage les détenteurs de brevets? La question est d'autant plus importante qu'un oui signifie des coûts accrus pour les médicaments des Canadiens qui sont déjà les deuxièmes consommateurs de produits sur ordonnance du monde, loin derrière les Américains toutefois.

Cela gonflerait aussi les coûts en santé, assumés par les provinces qui prennent part de plain-pied aux négociations.

«La quasi-totalité des réformes proposées par l'Union européenne et par les États-Unis au sein du PTP favorisent directement ou indirectement les intérêts de l'industrie pharmaceutique dotée d'un fort segment de recherche», notent les auteures, après avoir disséqué chacune des propositions connues des deux groupes.

On doit compter en moyenne de 11 à 13 ans et 1,3 milliard en moyenne entre le développement d'une molécule et sa mise en marché. En outre, le taux d'échec dans le processus est élevé.

Dans le cas d'une petite biotech, l'intervalle est de 10 à 15 ans, et les sommes nécessaires grimpent à 1,5 milliard.

En revanche, développer un médicament générique par la technique de l'ingénierie inversée peut prendre de 3 à 6 ans et requérir une mise de fonds de 4 millions seulement.

Voilà pourquoi les auteures enjoignent Ottawa à lancer une étude ayant pour but de déterminer l'existence d'un seuil entre les avantages de renforcer la propriété intellectuelle pour l'industrie pharmaceutique et l'accroissement des coûts des médicaments et des services de santé.

Cette étude devrait aussi se pencher sur les mesures de nature fiscale ou autres susceptibles de stimuler l'innovation pharmaceutique plutôt que la multiplication des litiges.

Enfin, elles suggèrent qu'Ottawa obtienne un engagement des membres de l'industrie à consacrer à la R et D en sol canadien une portion définie de leurs ventes réalisées au pays.

Comme ce fut le cas à la fin des années 80.