Le fabricant de semi-remorques Manac est devenu au fil du temps un véritable baromètre de l'économie puisque les véhicules qu'il fabrique servent à faire rouler l'économie. Une réalité que constate chaque jour Charles Dutil, PDG de l'entreprise.

«C'est simple. Quand les ventes des manufacturiers reculent de 10%, on fabriquera 10 % de semi-remorques de moins durant l'année. Notre production annuelle reflète assez fidèlement la croissance ou la décroissance qu'enregistre l'activité économique», expose-t-il dans ses bureaux situés au coeur de l'usine Manac de Saint-Georges-de-Beauce.

Le PDG m'avait préalablement fait visiter l'immense usine où Manac - le plus important fabricant de semi-remorques du Canada - assemble ses véhicules pour des clients québécois, canadiens et du nord-est des États-Unis.

Charles Dutil tenait surtout à me démontrer la supériorité en matière de sécurité des semi-remorques de Manac par rapport à la concurrence.

«On vient de réussir les essais sur pare-chocs que réalise l'Insurance Institute for Highway Safety [IIHS] aux États-Unis. Sur huit manufacturiers nord-américains, on est le seul à réussir à protéger le conducteur d'une voiture qui percute une semi-remorque lorsqu'il y a une collision par-derrière dans un angle de 30 degrés», m'explique-t-il.

Frapper de plein fouet le train arrière d'une semi-remorque est le pire des cauchemars qu'appréhendent les automobilistes. En raison de la hauteur des boîtes, les occupants d'une voiture risquent d'être décapités parce que les pare-chocs ne résistent pas à l'impact. Ce qui n'est pas le cas des trains routiers fabriqués par Manac.

«On a renforcé les pare-chocs en les arrimant au châssis du véhicule. Non seulement le conducteur de la voiture a la vie sauve, mais la boîte du camion ne se trouve pas endommagée à la suite de l'impact. Ce sont des coûts importants que peuvent épargner les compagnies de transport», précise le PDG.

Cette nouveauté qui a été mise au point par l'équipe d'ingénierie de Manac fait la fierté du groupe et constitue une valeur ajoutée que les responsables du marketing vont évidemment exploiter à fond.

Gros joueur et gros enjeux

Charles Dutil aime bien recourir aux formules-chocs pour résumer une situation. Sur le positionnement de Manac dans le marché nord-américain, sa réponse est claire: «Manac est le plus gros des petits fabricants en Amérique du Nord», laisse-t-il tomber.

«On est le plus gros au Canada, mais il existe des fabricants bien plus importants aux États-Unis qui produisent pour des grandes chaînes de détaillants. Notre marché à nous est composé d'une quantité de petits transporteurs qui ont des flottes de 10 ou 20 camions.

«Nos gros clients comme TransForce ou le Groupe Robert ne représentent que 30 % de nos revenus. Notre base est beaucoup plus large et variée», note Charles Dutil.

L'entreprise fondée par son père Marcel Dutil en 1966 emploie aujourd'hui 650 personnes à Saint-Georges. En 2002, elle a acquis un fabricant américain, CPS Trailers, à Oran, au Missouri, et a ouvert une nouvelle usine à Kennett, dans le même État, pour y fabriquer des plates-formes routières.

Pour son dernier exercice financier, Manac a livré un nombre record de 7000 semi-remorques, dont 4500 ont été assemblées à son usine en Beauce.

«À Saint-Georges, on a au moins 450 employés en usine qui travaillent sur deux factions de semaine et une autre de fin de semaine. La cadence de production est revenue à un niveau élevé, mais on a traversé des années vraiment éprouvantes», souligne Charles Dutil.

Manac, un baromètre de l'économie? Voici quelques chiffres qui vont convaincre les plus sceptiques.

En 2006, au plus fort des folles années de croissance dopées par la bulle immobilière aux États-Unis, l'entreprise a livré un nombre record de 6835 semi-remorques. En 2008, au début de la crise financière et de la récession américaine, la production est tombée à 4100 remorques.

En 2009, au plus fort de la crise, seulement 2000 véhicules ont été assemblés dans les installations canadiennes et américaines du groupe québécois. Moins du tiers de la production de 2006.

«On a dû couper la production de l'usine en deux. On a dû réduire de beaucoup le personnel, et plusieurs nous ont quittés pour de bon. On fonctionnait trois semaines sur quatre et nos travailleurs touchaient du chômage», déplore le PDG.

«Quand il y a moins de camions sur la route, les entreprises de transport mettent des semi-remorques sur la touche. Il n'est pas question d'en acheter des neuves. Ils les sortent quand les affaires reprennent», observe-t-il.

Les bienfaits de l'anonymat

Si les affaires se sont graduellement replacées depuis 2010, Charles Dutil est bien conscient que Manac restera toujours exposée aux cycles économiques.

Depuis 2004, il profite au moins d'un avantage qu'il n'avait pas avant, celui de pouvoir exploiter une entreprise sans avoir à rendre de comptes à tout bout de champ.

Manac, qui faisait partie du groupe Canam-Manac, a été privatisée et rachetée par la famille Dutil il y aura bientôt dix ans.

«Je n'avais aucun problème à faire partie d'un tout qui s'appelait Canam-Manac, mais j'ai retrouvé depuis dix ans un anonymat que j'aime bien. On a beaucoup moins de rapports à produire, pas de rencontres à planifier pour expliquer notre situation financière. On apprécie notre liberté», confesse avec le sourire le PDG.