Le président chypriote a réaffirmé vendredi sa volonté de maintenir son pays dans la zone euro dans un contexte de profonde incertitude économique pour l'île après les mesures drastiques imposées à son secteur bancaire par les bailleurs de fonds internationaux.

«Nous n'allons pas quitter l'euro, et j'insiste sur cela», a assuré Nicos Anastasiades lors de la conférence annuelle d'un syndicat de fonctionnaires à Nicosie. «Je répète, nous n'allons pas nous engager dans des expériences risquées qui mettraient en danger l'avenir de notre pays», a-t-il insisté.

En attendant, les habitants de l'île méditerranéenne s'apprêtent à vivre des jours difficiles avec une activité fortement perturbée par le contrôle des capitaux imposé après douze jours de fermeture forcée de toutes les banques du pays.

Après leur réouverture jeudi, des files d'attente limitées se sont à nouveau formées vendredi matin, mais uniquement devant les agences de Laïki Bank, principale victime de l'accord conclu lundi entre Chypre et ses bailleurs de fonds afin d'éviter une faillite de l'île.

Pour parer à une fuite massive des capitaux, les autorités chypriotes ont mis en place de sévères restrictions. Les retraits sont limités à 300 euros par jour et par personne dans toutes les banques, tandis que les paiements par carte à l'étranger ne peuvent dépasser 5000 euros par mois. Les virements bancaires vers l'étranger restent impossibles.

Le décret instaurant ces mesures, prises mercredi pour une durée de quatre jours, a été prolongé de cinq jours supplémentaires, a indiqué vendredi l'agence CNA citant le ministère des Finances.

La Banque centrale de Chypre a cependant levé des restrictions visant les paiements par carte de crédit sur l'île et indiqué que l'ensemble des mesures serait réexaminé sur une base quotidienne pour être «ajustées» ou «allégées».

Pour Yiannis Tirkides, un économiste chypriote, les conséquences de la crise seront «graves» car «trop de gens ont perdu leur argent, cela affectera la consommation. Trop d'entreprises seront affectées. Cela affectera l'investissement. Et la conséquence en résumé sera que le pays plongera dans une profonde récession».

«Chute libre»

L'Institut de la finance internationale (IIF), qui représente les plus grandes banques du globe, a averti jeudi que l'économie du pays allait connaître une «chute libre», avec une récession pouvant atteindre 20 % dans les deux prochaines années.

Le Fonds monétaire international (FMI), un des trois bailleurs de fonds de l'île, a reconnu que la mise en oeuvre du plan d'aide ouvrait une période «difficile pour les Chypriotes pendant un certain temps».

Mais au-delà des difficultés économiques, les Chypriotes jugent aussi avoir été injustement traités par leurs partenaires de la zone euro.

«Personne ne peut ignorer à quel point nos partenaires ont été insensibles», a ainsi lancé le président chypriote.

Le ministre suédois des Affaires étrangères, Carl Bildt, qui achevait une visite à Chypre, a lui aussi mis en cause ses partenaires et le précédent gouvernement.

«La question pour moi est de savoir pourquoi on a permis à la situation de se prolonger si longtemps. Pour ensuite s'en décharger sur un président élu quelques jours plus tôt», a écrit M. Bildt sur son compte Twitter.

«Chypre est en train de pâtir de tous les coûts liés (...) à l'euro, sans avoir aucun des bénéfices», a sévèrement jugé le chef économiste de l'IIF, Philip Suttle, évoquant la «dépression» économique qui s'annonce.

Le lobby mondial des banques juge en conséquence qu'il y a une «réelle possibilité» de voir Chypre sortir de la zone euro après son sauvetage financier controversé.

En contrepartie d'une aide de 10 mds d'euros de la troïka (UE, FMI, BCE), Chypre s'est engagée, dans un accord conclu lundi, à trouver 7 milliards. Le plan adopté prévoit notamment la fermeture de la Laïki bank, la deuxième banque de l'île, et une ponction sur les sommes au-delà de 100 000 euros dans la première banque, Bank of Cyprus.

La chaîne de télévision privée Sygma a publié vendredi soir une copie d'un décret de la Banque centrale indiquant que cette ponction serait de 37,5 % et compensée en actions.

La crise à Chypre a aussi laissé des traces en Europe, où le ressentiment a grandi à l'égard de l'Allemagne, accusée d'avoir imposé sa vision dans la résolution de la crise à Chypre et l'austérité à toute l'Europe, singulièrement à celle du sud.

Au point d'inquiéter le président français François Hollande, qui a redouté jeudi les conséquences de cette division nord-sud.

«Aujourd'hui, prolonger l'austérité, c'est le risque de ne pas aboutir à réduire les déficits et la certitude d'avoir des gouvernements impopulaires dont les populistes feront une bouchée le moment venu», a-t-il averti.