La banque britannique Barclays s'est livrée pendant quatre ans à des manipulations de taux interbancaires pour gonfler ses profits, limiter ses pertes puis préserver son image, selon les rapports d'enquête sur cette affaire qui a décapité la direction du groupe

«À de nombreuses occasions et parfois quotidiennement pendant une période de quatre ans, à partir de 2005», le groupe Barclays et en particulier sa filiale de banque d'investissements Barclays Capital, «ont tenté de manipuler et fait des déclarations erronées concernant deux taux d'intérêt de référence mondiale, le (britannique) Libor et l'(européen) Euribor», a indiqué dans son rapport la Commodity futures trading commission (CFTC), un régulateur financier américain.

La CFTC a souligné que des «centaines de milliers de milliards de dollars de transactions» s'appuient chaque année sur ces taux.

Barclays a révélé mercredi dernier qu'elle allait payer l'équivalent de 290 millions de livres --soit environ 360 millions d'euros-- pour mettre fin aux enquêtes des régulateurs britannique et américain dans cette affaire de manipulation des taux interbancaires.

Ces taux sont une moyenne des taux pratiqués par un panel de banques (dont Barclays) pour des prêts entre elles. Ils affectent le rendement de produits dérivés et, indirectement, les crédits aux ménages et aux entreprises. Ils sont fixés une fois par jour par l'Association des banquiers britanniques (BBA) pour le Libor et la Fédération bancaire européenne (FBE) pour l'Euribor.

Selon les autorités des deux côtés de l'Atlantique, qui n'identifient pas les intervenants ni les autres banques impliquées, Barclays a communiqué à maintes reprises des taux inférieurs ou supérieurs aux taux réels en fonction des intérêts du moment.

Cette action a nécessité la complicité des courtiers de dérivés et du département trésorerie de la banque, qui transmet les taux à la BBA et la FBE. Les échanges de courriers électroniques entre courtiers et agents de la trésorerie, retranscrits dans les rapports, laissent peu de doutes.

«Nous avons une autre échéance importante demain et, avec l'évolution du marché, j'espérais que l'on pourrait fixer des Libors aussi élevés que possible», écrit un courtier à un agent.

Un autre donne ses instructions sans détour: «Elevé 1 m (taux élevés pour l'échéance à 1 mois, ndlr) et élevé 3 m si poss(ible), s'il te plaît. Ai un t(rès) important 3 m qui arrive (à échéance) dans les dix prochains jours».

Ou encore: «Nous avons besoin d'un taux 3 m très bas, (sinon) ça pourrait nous coûter une fortune. On apprécierait un coup de main». Un autre: «Je te dois gros! Viens un jour après le boulot et j'ouvre une bouteille de (champagne) Bollinger».

Un agent à un courtier: «Pour toi, je ferai n'importe quoi. J'allais faire 78 et 92,5. C'est dur de faire plus bas sur le 3 (mois) (...). En fait, si tu ne voulais pas un (taux) bas, j'aurais mis 93 au moins».

L'Autorité britannique des services financiers (FSA), qui a infligé une amende record de 59,5 millions de livres à Barclays, a précisé dans son rapport qu'entre janvier 2005 et juin 2009, les traders ont envoyé aux agents au moins 257 demandes de modification du taux de Barclays. Une faible partie à la demande de traders d'autres établissements, initiés à la combine.

Par ailleurs, les autorités ont découvert que «Barclays, sur instruction de hauts responsables, s'est livré à d'autres comportements illégaux graves».

Entre août 2007 et début 2009, ces responsables ont demandé à ce que des taux inférieurs soient communiqués à la BBA et la FBE pour faire taire les interrogations, en particulier dans les médias, sur la santé de la banque.

Un taux élevé pouvait en effet être considéré -- les taux individuels du panel sont rendus publics -- comme un signe que ses concurrentes l'estimaient moins solide financièrement.

David Cameron fustige un «scandale révoltant»

Le premier ministre britannique David Cameron a qualifié mercredi de «scandale révoltant» l'affaire des manipulations du taux interbancaire Libor à la banque Barclays, pour laquelle il a de nouveau appelé à une enquête parlementaire «rapide et concluante».

«Ce scandale bancaire est révoltant», a déclaré le chef du gouvernement devant les députés.

«Il est scandaleux, franchement, que les propriétaires de logements risquent de payer davantage pour rembourser leur emprunt, que des petites entreprises risquent de payer des taux d'intérêt plus élevés en raison d'activités immorales et probablement illégales à la City», a-t-il ajouté.

«Les gens veulent être sûrs que la délinquance dans nos banques, dans nos services financiers, fera l'objet de poursuites et sera punie de la même façon que la délinquance de rue», a poursuivi David Cameron.

Alors que l'opposition travailliste demande que ce scandale fasse l'objet d'une enquête indépendante, sous l'égide d'un juge, le premier ministre privilégie une enquête parlementaire. «L'important selon moi est qu'il s'agisse d'une enquête rapide et concluante», a-t-il dit.

L'ex-patron de la banque Barclays, Bob Diamond, qui a démissionné mardi, doit s'expliquer dans la journée devant une commission parlementaire sur le scandale des manipulations du taux Libor. Des interrogations sont apparues sur le rôle des autorités réglementaires et du gouvernement travailliste, au pouvoir au moment des faits, dans cette affaire.

Les taux interbancaires Libor définissent le prix auquel les banques se prêtent de l'argent mais aussi, indirectement, celui des crédits aux ménages et aux entreprises.