Les archives judiciaires croulent sous le poids des dossiers de disputes au sujet des marques de commerce. Les belligérants sont souvent des concurrents, parfois des sociétés aux activités complètement étrangères, comme dans le cas de Lassonde contre Olivia's Oasis, et à l'occasion, même, des organisations «amies».

Le juge Brian Riordan, un des piliers de la chambre commerciale de la Cour supérieure à Montréal, en a vu d'autres. Mais le magistrat ne s'attendait pas à celle-là. Le jugement qu'il a rendu en janvier 2006 sur un litige de marques de commerce commence ainsi:

«Il est généralement reconnu que l'ennemi prééminent des cyclistes s'avère le nid de poule, malgré le fait que plus d'un automobiliste inattentif ait goûté à l'indignation unidigitale peu équivoque de ceux qui circulent à deux roues. Quelle surprise donc, de voir deux organismes pro-cyclisme et sans but lucratif, se confronter devant les tribunaux!»

L'objet de l'étonnement du juge est une poursuite intentée en 2002 par Vélo Québec contre Épreuve de la Coupe du monde cycliste féminine au sujet de l'utilisation par cette dernière de l'appellation Tour du Grand Montréal pour une course élite - à laquelle Lyne Bessette et Geneviève Jeanson ont participé à quelques reprises - organisée notamment sur le circuit du mont Royal.

Vélo Québec arguait que Tour du Grand Montréal violait sa marque de commerce enregistrée, Le Tour de l'île de Montréal, parce qu'elles sont identiques et que le vocable choisi par Épreuve de Coupe du monde crée de la confusion aux yeux du public.

Mais le juge a rejetté les prétentions de Vélo Québec. Selon lui, les deux événements promus sont différents, les deux marques sont «faibles» dans la mesure où leur nom utilise des mots qui ne sont pas distinctifs et la probabilité de confusion entre les deux marques n'est pas élevée. Et il termine ainsi son jugement:

«[...] Nous ne pouvons nous taire quant à un aspect affligeant de cette affaire. Ici, deux organismes qui devraient logiquement être des alliés, s'affrontent sur la place publique pour ce qui semble être bien plus une pure question de principe qu'un souci réel de préjudice.»

Le Massif contre le Massif

La Cour d'appel a livré en mars 2011 un jugement attendu au sujet d'une dispute entre les stations de ski Le Massif, dans Charlevoix, et le Massif du sud, de l'autre côté du fleuve, dans Chaudière-Appalaches.

La première voulait que la deuxième abandonne le nom qui la désigne depuis 1985 parce qu'il suscitait la confusion. Pour preuve: des skieurs, des fournisseurs et même des reportages ont confondu les deux stations.

Le Massif de Charlevoix a perdu une première fois en Cour supérieure, en 2009, et n'a pas eu plus de chance en appel. Les deux entreprises ne sont pas dans la même région, leur nom n'est pas assez distinctif pour que l'une ou l'autre puisse réclamer une exclusivité, et la grande majorité des skieurs et fournisseurs se rendent là où ils en avaient l'intention, ont conclu les deux cours.

Boulangerie St-Méthode contre Canada Bread

Une pastille imprimée sur un emballage de pain, traversée par une barre oblique rouge, clamant que le produit est «sans gras sans sucre» est-elle distinctive au point d'empêcher un concurrent de l'utiliser? Oui, a décidé la Cour supérieure, en janvier dernier.

Boulangerie St-Méthode et Canada Bread s'affrontent sur les étagères des épiceries québécoises. La première connaît une progression «appréciable» de ses ventes de pains santé depuis quelques années, écrit le juge Denis Jacques, alors que Canada Bread est en déclin.

Pour une campagne menée entre juin et août 2011, Canada Bread décide de copier la pastille «sans gras sans sucre» utilisée depuis quelques années par St-Méthode. Cette dernière répond par une poursuite, arguant qu'il s'agit d'une concurrence déloyale et d'une usurpation de sa marque de commerce.

Le juge Jacques a donné raison à St-Méthode. «Le Tribunal retient des règles découlant tant de la Loi que de la jurisprudence que, bien que la liberté de commerce demeure l'un des fondements de notre droit, le copiage systématique d'un signe distinctif d'une entreprise ne saurait être toléré lorsqu'il est susceptible d'entraîner une confusion auprès des consommateurs et des dommages possibles pour le commerce copié.»

Un des avocats de Canada Bread, Bruno Barrette, a indiqué à La Presse Affaires que sa cliente a porté le jugement en appel.