C'est au tour de l'Espagne de souffrir ces jours-ci en Europe. Après la Grèce, l'Irlande et le Portugal qui ont tous eu besoin du remède de cheval du Mécanisme de stabilité financière (MSF) et du Fonds monétaire international (FMI) pour faire baisser la fièvre, voilà qu'on spécule de plus en plus que l'Espagne y soit bientôt contrainte à son tour.

La montée de fièvre de l'Espagne sème l'inquiétude, comme en fait foi le taux exigé par les marchés obligataires pour lui prêter pendant 10 ans. Hier, il a atteint 6,16%, avant de reculer quelque peu à 6,06%. Il s'agit du taux le plus élevé depuis le 1er décembre, alors que la crise de la dette publique européenne donnait des sueurs froides aux décideurs politiques, monétaires et économiques du monde. Le taux exigé se rapproche dangereusement de la barre des 7%, jugée fatidique par les experts parce qu'elle rend le financement de la dette insoutenable économiquement.

L'Espagne doit refinancer 5,5 milliards US de sa dette cette semaine.

Austérité budgétaire

Ce qui fait monter la température, c'est le pari de l'austérité budgétaire à tout prix, adopté par le gouvernement d'obédience conservatrice de Mariano Rajoy, élu en décembre.

Le mois dernier, il a affirmé que l'Espagne ne parviendrait pas à limiter le déficit budgétaire à 3,5% de la taille de son économie à cause de la récession dans laquelle elle s'enfonce depuis l'automne. Le chômage atteint 23% de la population. Plus d'un jeune sur deux est sans emploi officiel. (Ce chiffre est peut-être surestimé, car il ne tient pas compte de l'importance de l'économie souterraine.)

L'an dernier, le déficit avait représenté 8,5% du produit intérieur brut (PIB) et constitué un thème marquant de la campagne électorale. M. Rajoy parle maintenant de le ramener à 5,3%, soit 3,2 points de pourcentage de mieux en pleine décroissance économique.

Le coût économique d'un tel objectif est considérable, pour ne pas dire catastrophique, car il aggrave la récession.

L'économiste nobélisé Paul Krugman affirme même que l'Espagne n'est pas en récession mais plutôt en pleine dépression économique, si on se fie à son chômage, aussi élevé que celui des États-Unis dans les années 30, bien que la décroissance y fut bien plus forte. L'éditeur délégué du Financial Times et fondateur du site Eurointelligence.com, Wofgang Münchau, qualifie pour sa part de «mission impossible» la démarche de Madrid.

Et la voir s'y enfoncer est ce qui effraie les marchés, ces jours-ci. À la différence de la Grèce, l'Espagne avait un surplus budgétaire avant la crise financière et la taille relative de sa dette était moins élevée que celle de l'Allemagne ou de la France.

Interventions extérieures

Pour sortir le pays du pétrin, plusieurs voix ministérielles demandent à la Banque centrale européenne (BCE) de se remettre à acheter des obligations espagnoles sur le marché secondaire, dans l'espoir de détendre les taux quelque peu.

La BCE a mis fin à cette pratique plus tôt cette année après avoir prêté plus de 1000 milliards d'euros à un taux de 1% pendant trois ans aux institutions financières de la zone euro. L'objectif était de faciliter leur accès à des liquidités bon marché, tout en les incitant à acheter une partie de la dette publique de leur pays, émise de surcroît à un taux plus élevé.

Cela a bien marché l'hiver dernier, mais la stratégie a donné ses meilleurs fruits. La BCE hésite cependant à reprendre ses achats d'obligations.

Voilà pourquoi de plus en plus d'observateurs estiment que le MSF devra entrer en jeu, de même que le FMI, ce qui chicote les décideurs politiques et monétaires. La cagnotte du premier a été portée à 800 milliards d'euros en début d'année tandis que celle du second est d'environ 400 milliards US.

Devant la poussée de fièvre qui agite l'Europe, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, exhorte ses pays membres à gonfler le pare-feu du FMI pour le rendre de capacité mondiale.

Elle multipliera les efforts pour obtenir des résultats ce week-end à Washington au cours de la réunion semestrielle du FMI et de sa soeur siamoise, la Banque mondiale. Les Européens, le Mexique et le Brésil se disent partants, mais pas les pays anglo-saxons ni le Japon.

Entre-temps, la fièvre s'aggrave, les souffrances des Espagnols aussi.