Le marché américain du livre électronique a peur qu'Amazon conserve une position dominante néfaste, comme le révèle le refus de certains éditeurs de solder des poursuites pour collusion avec un autre grand distributeur nommé Apple.

Cette crainte a été exprimée clairement par le directeur général de la maison d'édition Macmillan John Sargent, réagissant jeudi dès l'annonce de ces poursuites: selon lui, transiger avec les autorités pourrait «permettre à Amazon de retrouver la position de monopole qu'il était en train de construire» avant qu'Apple offre en 2010 aux éditeurs de faire payer leurs titres numériques plus cher que ne le voulait le géant de la distribution en ligne.

De fait, selon des chiffres cités par la Guilde des Auteurs américains, en 2009, Amazon contrôlait 90% du marché en expansion des livres électroniques. Aujourd'hui, cette part de marché serait tombée à 60%.

Du coup Hachette Book Group estime que le risque est dissipé.

À la différence de Macmillan, cette filiale américaine du groupe Lagardère a décidé de solder les poursuites des autorités, et de permettre à Amazon de reprendre une politique de prix bas honnie des éditeurs et auteurs.

Amazon s'est immédiatement réjoui: «Nous nous félicitons d'être autorisés à baisser les prix sur plus de livres» de la librairie numérique Kindle, a indiqué le groupe de Seattle.

Le problème, selon Michael Norris, analyste au groupe Simba, un centre de recherche du secteur de l'édition, c'est qu'«Amazon a les moyens de vendre des livres numériques pour pratiquement rien», ce qui lui permet de «gonfler artificiellement sa part de marché».

De nombreux commentateurs ont souligné que c'est un paradoxe pour l'administration de lancer des poursuites antitrust revenant à favoriser l'acteur dominant du marché, Amazon, et de rechercher des sanctions contre un concurrent, Apple, qui à en croire M. Norris, «n'a jamais été un acteur sérieux» du secteur.

Le ministère de la Justice, de son côté, a expliqué que ce qu'il voulait sanctionner, c'était l'existence d'un cartel, où plusieurs acteurs du marché avaient décidé de concert d'une politique de prix pour fausser la concurrence.

Le nerf de la guerre, pour les professionnels du secteur, c'est le prix des livres électroniques.

Beaucoup de consommateurs ne comprennent pas que, bien souvent, un livre électronique qu'ils reçoivent en une minute sur une liseuse coûte autant qu'un pavé de 400 pages acheté dans un magasin, ce qu'Amazon semble avoir compris avec le prix de 9,99$ qu'il tente d'imposer pour la plupart des livres numériques.

Distributeur par métier, Amazon s'accommode de marges minimes pour imposer ce nouveau type d'achat. Mais chez les éditeurs, on défend la nécessité de prix plus élevés - aujourd'hui bien souvent autour de 15$ - en faisant valoir que le format numérique implique «d'importants investissements éditoriaux, technologiques et financiers».

«Ces coûts comprennent la numérisation des contenus pour qu'ils soient adaptés aux divers formats numériques disponibles, l'ajout de fonctions améliorées et interactives, et, surtout, les coûts entraînés par le piratage», a fait valoir une porte-parole de l'association des éditeurs.

«Il se peut que le deuxième exemplaire d'un livre numérique ne coûte à peu près rien à l'éditeur», précise M. Norris, mais «le premier peut avoir coûté 250 000$».

Les auteurs ont pris le parti des éditeurs, bien qu'Amazon garantisse a priori une plus large distribution de leurs ouvrages.

Ils craignent que les librairies disparaissent, ce qui les priverait d'une vitrine essentielle et d'un marketing de bouche à oreille.

Les médias sociaux pourraient peut-être à terme prendre le relais, en popularisant les choix de lecteurs influents, mais c'est sans doute trop tôt: «31% des acheteurs de livres numériques comptent sur les recommandations de libraires en magasins pour choisir des livres», relève M. Norris.