Vivement la retraite. Carole y est déjà parvenue depuis quelques mois. En 2013, ce sera au tour de son conjoint Richard.

Ce sont des retraites précoces: Carole a 57 ans et Richard, 58.

«Ce qu'on a toujours entendu, c'est que lorsqu'on prenait notre retraite, on demandait la rente de la RRQ, indique Carole. Mais avec les nouvelles données, plusieurs disent que ça vaut la peine d'attendre.»

En effet, le budget du Québec de mars 2011 a introduit des modifications au calcul des réductions aux prestations du Régime des rentes du Québec lorsqu'elles sont touchées avant 65 ans.

«Devient-il plus avantageux de faire des retraits dans ses REER et attendre pour commencer le retrait de la RRQ? «, s'enquiert Carole.

Carole reçoit une rente de retraite de son employeur d'environ 17 000$. À 60 ans, celle-ci sera réduite de 4500$ pour être coordonnée avec le versement de la rente de la RRQ. Elle détient 20 000$ en épargnes non enregistrées, 20 200$ en CELI, et 209 000$ en REER.

Richard touchera en mai 2013 une rente de retraite de la fonction publique fédérale d'environ 51 000$, qui diminuera de 6100$ à 65 ans. Il compte sur son REER de 44 500$, son CELI de 20 790$ et un compte de retraite immobilisé (CRI) de 40 000$.

Alors, devancer ou attendre?

Des taux d'ajustement modifiés

«La question est tout à fait légitime», lance le planificateur financier Martin Dupras, président de ConFor financiers.

En effet, avant l'entrée en vigueur des modifications, on recommandait fréquemment à un jeune retraité de demander à percevoir la rente de la RRQ dès 60 ans.

La rente était réduite de 6% pour chaque année d'avance sur l'âge normal de 65 ans, donc de 30% si elle était versée dès 60 ans.

Les nouvelles mesures annoncées au printemps dernier prévoient que cette pénalité sera graduellement majorée à partir de 2014, pour atteindre de nouveaux plafonds en 2016. Pour compliquer encore les choses, cette majoration n'est pas uniforme: elle dépend de la prestation. La réduction sur la rente minimale n'augmentera pratiquement pas, tandis qu'en 2016, elle atteindra 7,2% par année pour la rente maximale.

«Sans considérer l'inflation, un participant qui aurait eu droit à une rente maximale de 8288$ à 60 ans en 2012 verrait cette même rente être réduite à 7578$ une fois les nouvelles règles totalement en vigueur, soit une diminution de 710$», décrit le planificateur financier.

À l'inverse, le taux de majoration pour les rentes demandées après 65 ans passera de 6% par année actuellement à un maximum de 8,4% en 2013.

Autre nuance byzantine: ces changements ne s'appliquent qu'aux participants nés en 1954 ou plus tard.

Carole étant née en 1955 et Richard en 1954, ils sont tous deux touchés par ces nouvelles règles.

Martin Dupras a évalué à combien s'élèveraient leurs rentes de la RRQ, selon l'âge auquel ils commenceraient à les toucher.

Richard aura droit à la rente maximale. S'il demande à la toucher à 60 ans, en 2014, elle serait fixée à 8075$ par année.

À 65 ans: 11 840$.

À 70 ans: 16 813$.

Carole n'a pas participé au maximum de la RRQ. À 60 ans, sa rente s'établirait à 4829$.

À 65 ans: 7050$.

À 70 ans: 10 011$.

Comparaison de pouvoirs d'achat

Mais comment savoir quelle est la meilleure stratégie? Martin Dupras utilise la méthode du pouvoir d'achat total.

Elle consiste à estimer quel coût de vie maximal pourrait être maintenu d'un bout à l'autre de la retraite, en considérant l'ensemble des revenus du retraité, selon l'âge auquel il commencerait à toucher sa rente de la RRQ.

Cette rente sera d'autant plus élevée qu'il retarde sa perception, mais entre-temps, il doit puiser davantage dans ses REER et autres épargnes pour compléter ses revenus de retraite.

Pour cet exercice, le planificateur pose les hypothèses d'un rendement annuel sur les actifs de 5,25% et d'un épuisement des épargnes à 96 ans. Les revenus et le pouvoir d'achat moyen sont ajustés en fonction d'une inflation annuelle de 2,25%. Il puise d'abord dans les épargnes non enregistrées, puis dans les CELI, et enfin dans les REER, dont les retraits sont imposables, question de retarder la ponction fiscale.

Selon ces calculs, Richard pourrait maintenir un pouvoir d'achat moyen de 41 000$ durant toute sa retraite s'il commençait à toucher sa rente de la RRQ à 60 ans. Ce pouvoir d'achat s'établirait à 41 700$ si la rente de la RRQ était demandée à 65 ans, et grimperait à 42 100$ si elle était retardée à 70 ans.

Pour Carole, ce pouvoir d'achat durant sa retraite - donc dès maintenant jusqu'à 96 ans - se fixerait à 23 600$, 24 000$ ou 24 300$ selon que la RRQ est perçue à 60, 65 ou 70 ans.

Remettre?

«On constate donc, pour Richard et Carole, un léger avantage à repousser le moment où l'on demandera la prestation de la RRQ», commente Martin Dupras.

Il émet aussitôt une réserve. Bien que ces scénarios supposent tous que les épargnes s'épuisent à tes 96 ans, le rythme des retraits varie selon l'âge auquel la rente de la RRQ commence à être versée. En remettant à 65 ou 70 ans le paiement de cette rente, on doit puiser plus tôt dans les épargnes. Si le décès du retraité survenait beaucoup plus tôt qu'à 96 ans, à 70 ans par exemple, le solde du REER cédé alors en héritage serait moins élevé que si le paiement de la RRQ avait commencé à 60 ans.

Si Carole et Richard veulent courir la chance de laisser des héritages plus importants, il vaudra mieux toucher la RRQ plus tôt.

LA SITUATION

Tous deux âgés de moins de 60 ans, Carole est déjà à la retraite, et Richard prendra la sienne en 2013. Avec les modifications annoncées au Régime des rentes du Québec, vaut-il encore la peine de toucher la rente de la RRQ dès 60 ans? Ne vaut-il pas mieux attendre à 65 ans, voire plus tard?

Les données

Carole, 57 ans

REER: 209 240$

CELI: 20 240$

Hors REER: 20 000$

RRQ à 60 ans: 4829$

Jean, 58 ans

REER: 44 500$

CELI: 20 790$

CRI: 40 000$

RRQ à 60 ans: 8075$

L'analyse de Martin Dupras, planificateur financier, président de ConFor financiers.

En supposant que ses épargnes s'épuisent à 96 ans, Carole pourrait maintenir un coût de vie ajusté à l'inflation de 23 600$ durant toute sa retraite si elle retire la RRQ à 60 ans. Si elle attend l'âge de 70 ans, ce pouvoir d'achat s'élèvera à 24 300$. Une différence de 700$ par année, soit 25 000$ en 36 ans.

«Une situation où de tels actifs ne sont pas disponibles aurait sans doute eu une conclusion très différente.»



Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Martin Dupras, planificateur financier, président de ConFor financiers.