Comment conjuguer retraite et enfant handicapé? Comment, en plus, assurer l'avenir et la vieillesse de cet enfant? C'est le dilemme de René et Denise. Leur fille Julie, âgée de 33 ans, est handicapée intellectuelle.

Inapte au travail, elle habite dans un logement aménagé au sous-sol de leur duplex.

René, qui vient de franchir le cap des 70 ans, est retraité, mais travaille tout de même trois jours par semaine à son compte.

Denise, âgée de bientôt 65 ans et elle aussi retraitée, est présidente d'une association de parents d'enfants handicapés.

René et Denise ont déjà songé à cotiser à un Régime enregistré d'épargne-invalidité (REEI) au bénéfice de Julie. Ils ont assisté à deux rencontres d'information et ont même entamé des démarches auprès d'une institution financière. «Ils n'étaient pas trop au courant et à la longue, j'ai laissé tomber, raconte Denise. Il fallait être plus informé qu'eux!»

Car le régime est complexe et ses implications, nombreuses.

«On avait bien des questions, poursuit-elle. Les bénéficiaires ont droit de commencer à retirer des sommes à partir de 55 ans, si je me rappelle bien, mais ça veut dire que leur prestation d'aide sociale est coupée.»

S'y ajoute la contrainte du budget. L'argent déposé dans un REEI n'est plus disponible aujourd'hui.

«Qu'est-ce qu'il est mieux de faire?, demande Denise. Est-ce qu'il faut prendre l'argent destiné à notre enfant, qui en a besoin pour ses activités? Je n'ai pas les moyens d'investir, et la rente de mon mari n'est pas très grosse.»

Julie est leur unique fille et leur survivra vraisemblablement. «Ce n'est pas évident de dire qui, dans l'avenir, va vouloir veiller un petit peu, quelque part, de loin, sur elle. Ce n'est pas la somme d'argent placée dans un REEI qui va aider pour ça.»

Mais malgré ses soucis, Denise sait relativiser. «Il y en a de bien pires. Ma fille a ses parents. Il y en a qui ne les ont pas.»

L'avantage des subventions

«Le régime enregistré d'épargne-invalidité a été créé pour assurer la sécurité financière à long terme des personnes handicapées», précise d'abord le planificateur financier Robert Comtois, représentant en épargne collective et responsable du développement pour l'Ouest du Québec aux Fonds FMOQ. «C'est comme un REER pour les personnes handicapées.»

Le REEI présente un grand avantage: le gouvernement fédéral verse une subvention proportionnelle aux sommes qui y sont déposées. Ce taux varie en fonction du revenu familial du bénéficiaire s'il est majeur, et de celui de ses parents s'il est mineur. Pour un revenu familial inférieur à 83 088 $ (en 2011) - ce qui est le cas de Julie -, la subvention maximale équivaut à 300 % du premier dépôt de 500 $, et de 200 % de l'excédent. La subvention plafonne à 3500 $ par année, ce qui correspond à une cotisation de 1500 $.

Mais ce n'est pas tout. Dès lors qu'un compte REEI est ouvert et autorisé au nom d'un bénéficiaire, le gouvernement accorde le Bon pour l'épargne-invalidité. Il atteint un maximum de 1000 $ par année lorsque le revenu familial est inférieur à 24 183 $ (en 2011). Le bon est versé même si le bénéficiaire ou ses proches n'y déposent pas un sou!

Pour l'ouverture d'un REEI, le bénéficiaire doit répondre à trois critères principaux: il doit résider au Canada, être âgé de moins de 60 ans et avoir droit, dans sa déclaration de revenus, au crédit pour personne handicapée du gouvernement fédéral. Julie répond aux deux premiers critères, mais pas encore au troisième. Elle n'avait encore jamais demandé ce crédit, mais ses parents, après une conversation avec Robert Comtois, ont entrepris de corriger la situation.

Julie pourrait, en effet, récupérer les subventions pour les années où elle était admissible jusqu'en 2008, année où a été institué le régime. Le gouvernement fédéral détermine l'admissibilité de la subvention pour une année donnée sur la base de la déclaration de revenus de la deuxième année précédente. Pour récupérer les subventions jusqu'en 2008, Julie devra donc produire des déclarations de revenus jusqu'en 2006.

Petite simulation

Robert Comtois a fait un petit calcul fort intéressant. Les parents de Julie ne roulent pas sur l'or, mais supposons qu'ils réussissent à réunir 2500 $ de manière à déposer rétroactivement dans le REEI de Julie l'équivalent de 500 $ par année, pour les années 2008 à 2012. Chaque cotisation de 500 $ vaudrait une subvention de 1500 $. S'y ajouterait le bon d'invalidité de 1000 $, auquel les maigres revenus de Julie lui donneraient droit. À la fin de 2012, cet investissement de 2500 $ aurait déjà permis de récolter 12 500 $ en bons et subventions!

On peut faire des cotisations au REEI admissibles aux subventions et aux bons d'invalidité jusqu'au 49e anniversaire du bénéficiaire. Les dépôts faits entre ses 50 et 59 ans n'y donnent plus droit. En supposant que René et Denise - ou toute autre personne - maintiennent des dépôts annuels de 500 $ jusqu'aux 49 ans de Julie, et que le REEI produise un rendement de 5 % par année, Julie disposerait à 60 ans d'un capital de 160 000 $.

René et Denise n'y auraient pour leur part déposé que 10 000 $ au fil des ans.

Pourquoi 60 ans? Il faut connaître cette règle capitale. Le bénéficiaire peut faire des retraits en tout temps, mais dès lors qu'un retrait est effectué, tous les subventions et bons qui ont été accordés au cours des 10 années précédentes doivent être remboursés au gouvernement. En d'autres mots, ces subventions doivent demeurer au moins 10 ans dans le REEI.

«C'est la principale restriction du REEI, observe Robert Comtois. Une fois qu'on dépose des sommes dans le régime, il faut vraiment avoir des horizons à long terme.»

À ce propos, des assouplissements pour les handicapés ayant une espérance de vie réduite ont été introduits en 2011. Ce n'est cependant pas le cas de Julie. Au plus tard à 60 ans, elle devra commencer à faire des retraits annuels minimaux, selon des formules précises, pour toucher un «paiement viager pour invalidité» jusqu'à son décès.

Et l'aide sociale?

Les prestations d'assistance sociale de Julie seront-elles réduites à cause du REEI, comme le craint Denise?

Pendant la période d'accumulation de fonds dans le REEI, les cotisations, les subventions, les bons et le rendement des placements n'auront aucun impact sur les prestations d'aide sociale, explique notre planificateur. «Ça ne touche à aucun crédit fiscal ou financier», assure-t-il.

Seuls les retraits seront pris en considération, et encore, partiellement. Car le capital déposé en cotisation n'est pas imposable, n'ayant donné lieu à aucun crédit d'impôt pour le cotisant.

Pour Julie, les 160 000 $ accumulés à 60 ans dans notre exemple lui donneraient droit à un paiement viager d'environ 6950 $ pour la première année.

La part attribuée aux cotisations, donc non imposable, serait d'environ 430 $. Le solde d'un peu plus de 6500 $ serait ajouté à ses revenus imposables. À l'heure actuelle, la première tranche de revenus de 3600 $ en provenance d'un REEI n'est pas prise en considération dans le calcul des prestations d'aide sociale. «Si ce seuil est indexé avec le temps, observe Robert Comtois, il y a fort à parier que dans 27 ans, les prestations d'aide sociale de notre Julie ne seront pas touchées.»

Pour René et Denise, reste à trouver 500 $ par année.