Appels solennels et mises en garde contre une «explosion» de l'Europe, les dirigeants de l'UE entretenaient jeudi un climat de tension et de dramatisation avant un nouveau sommet décisif sur la crise de la dette en zone euro, qui débutait dans la soirée à Bruxelles.

«Jamais l'Europe n'a été aussi nécessaire, jamais elle n'a été aussi en danger. Jamais autant de pays n'ont voulu adhérer à l'Europe, jamais le risque d'explosion de l'Europe n'a été aussi grand», a déclaré à Marseille (sud-est) le président français Nicolas Sarkozy.

Avec la chancelière Angela Merkel, il appelle à une révision des traités européens pour y instaurer une discipline budgétaire plus stricte. Le couple franco-allemand participait jeudi à Marseille, avec une dizaine d'autres dirigeants européens, à un congrès de la droite européenne, prélude au sommet de Bruxelles, prévu pour commencer vers 18h30 GMT (13h30 à Montréal).

Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, y a lancé un appel pressant aux chefs d'État et de gouvernement de l'UE. «Nous devons tout faire, tous ensemble, toute l'Union européenne pour garantir l'irréversibilité de l'euro».

Les regards étaient aussi tournés vers Francfort, où la Banque centrale européenne (BCE) tenait son conseil des gouverneurs. Comme attendu, elle a donné un peu d'air aux économies européennes en abaissant ses taux d'un quart de point à 1%, et en prenant des mesures de soutien au secteur bancaire.

Mais son président, Mario Draghi, a immédiatement douché les espoirs d'une intervention massive sur le marché de la dette, que beaucoup d'économistes et de responsables européens considèrent pourtant comme la meilleure réponse de court terme à la crise.

Il s'est dit «surpris de l'interprétation» de certains de ses propos, la semaine dernière, qui avaient laissé entrevoir la possibilité d'une action de la BCE en échange d'un accord à Bruxelles sur une très stricte orthodoxie budgétaire. Les Bourses, en nette baisse, ont accusé le coup.

Entre Européens, l'atmosphère est tendue après des mois de concertations et de décisions sans résultats probants. Avant le sommet de Bruxelles, les divergences étaient nettes sur la réponse immédiate à la crise et la révision des traités exigée par Paris et Berlin.

Les avertissements répétés de l'agence de notation Standard & Poor's, visant les pays de la zone euro et leurs banques, ont encore fait monter la pression.

L'éclatement de la zone euro n'est «pas du tout un scénario que l'on considère aujourd'hui», a cependant tempéré jeudi à Paris le chef économiste pour l'Europe de l'agence américaine, Jean-Michel Six.

Le compromis franco-allemand intervenu lundi préconise des sanctions plus automatiques pour les mauvais élèves en matière budgétaire et l'inscription d'une «règle d'or» de retour à l'équilibre des finances publiques dans la Constitution de chaque État.

«Nous allons trouver de bonnes solutions. Je suis convaincue que nous allons trouver une solution à toutes les questions», a déclaré Angela Merkel à Marseille.

La réforme des traités a été soutenue jeudi par le premier ministre espagnol désigné Mariano Rajoy, qui prendra ses fonctions le 21 décembre. Mais plusieurs pays ont montré des réserves à l'égard du processus de ratification d'une telle réforme institutionnelle, long et à l'issue incertaine.

«Des changements légaux aux traités (...) sont peut-être nécessaires, mais je ne crois pas que ce soit la solution que les marchés attendent», a jugé le premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt, dont le pays n'est pas membre de l'euro.

«Les marchés veulent savoir si nos pare-feu ont une puissance suffisante et si nous faisons suffisamment pour accroître la discipline budgétaire et les réformes. Ce sont là les solutions», a-t-il précisé.

Berlin rejette cependant les propositions pour muscler le Fonds de secours aux pays les plus endettés de la zone euro, notamment en lui permettant à terme de s'alimenter au guichet de la Banque centrale européenne (BCE).

L'Allemagne s'oppose aussi à l'idée d'euro-obligations, alors que plusieurs de ses partenaires suggèrent de laisser la porte ouverte à terme à ces instruments de mutualisation de la dette publique.

Autre incertitude, la position de la Grande-Bretagne. Le pays laisse planer la menace de monnayer son feu vert à tout changement de traité par des demandes de rapatriement de compétences de Bruxelles à Londres, notamment dans le domaine des services financiers.

Petit Etat mais place financière majeure, le Luxembourg s'y opposera. «Je n'accepterais pas qu'en matière de services financiers, le Royaume-Uni se voie réserver des droits et des libertés d'action que les autres n'auraient pas», a fait savoir son Premier ministre, Jean-Claude Juncker.

Par conséquent, beaucoup de responsables européens suggèrent que les pays de la zone euro scellent un accord seulement entre eux, à 17, et renoncent à une réforme du traité à 27, au risque de creuser les divisions entre Européens.

«Si nous n'arrivons pas à 27 à construire du solide, mieux vaut construire du solide à 17», a estimé Jean-Claude Juncker. «Il doit y avoir un accord» cette fin de semaine à Bruxelles.

La Pologne y est farouchement hostile: «l'UE est à 27», a martelé le premier ministre Donald Tusk à Marseille. Son homologue roumain Traian Basescu, également présent à Marseille, lui a fait écho.

Alors que les besoins de recapitalisation des banques européennes ont été encore revus à la hausse jeudi, cette crise de la dette, partie de Grèce, continue d'inquiéter le reste du monde. Le secrétaire américain au Trésor achevait jeudi une tournée européenne et même le pape Benoît XVI s'est préoccupé du «moment si difficile» que traverse le continent.