L'Europe se trouve à un tournant. Les pays membres de la zone euro tentent par tous les moyens de sauver la Grèce, dont la faillite éclabousserait l'économie de toute la planète. Le point sur les enjeux des discussions qui prennent place à Bruxelles.

Q: Quelle sera l'ampleur des pertes sur la dette grecque?

R: La Grèce est incapable de digérer ses dettes. Ses créanciers accuseront des pertes. Combien? Jusqu'à 60% de la valeur des obligations pourrait être effacée. L'objectif est de faire en sorte que la dette de la Grèce ne dépasse plus 120% de son PIB, ce qui serait plus gérable que 150% aujourd'hui, dit Mathieu D'Anjou, économiste principal chez Desjardins.

Mais il y a de la résistance de la part des détenteurs d'obligations, essentiellement des banques européennes, qui ne veulent pas perdre plus de 40%. Or, on tient à ce que tout se fasse sur une base soi-disant volontaire, dit M. D'Anjou.

Sinon, on craint de déclencher l'application des swaps de défaillance (CDS), une forme de police d'assurance qui protège les détenteurs d'obligations contre les défauts de paiement. Cela pourrait déstabiliser encore plus les marchés. On cherche à tout prix à éviter une faillite désorganisée où l'on perdrait complètement le contrôle sur le marché du crédit.

Surtout que la Grèce n'est pas un cas unique. «Un tel scénario donnerait un point de repère aux investisseurs quant à ce qui pourrait se produire si un autre État vivait les mêmes difficultés dans le futur. C'est inquiétant», note Michala Marcussen, responsable de la recherche économique à la Société Générale.

Q: Le plan de recapitalisation des banques européennes sera-t-il assez robuste?

R: L'Europe veut sauver la Grèce, mais aussi les banques européennes qui lui ont fait crédit. Ces banques seront ébranlées par les pertes. On s'attend à ce qu'elles aient besoin de 108 milliards d'euros pour se recapitaliser. Mais certains disent qu'il en faudra beaucoup plus pour solidifier le système bancaire.

Elles peuvent se recapitaliser toutes seules, en émettant des actions, par exemple. Mais le climat est très incertain et les investisseurs seront frileux. Les gouvernements et le Fonds européen de stabilité financière (FESF) devront probablement leur venir en aide.

Q: Jusqu'à quel point doit-on augmenter la force de frappe du fonds de sauvetage?

R: Pour éviter la contagion, l'Europe doit aussi stabiliser les obligations espagnoles et italiennes dont les taux d'intérêt ont explosé, gonflant d'autant les coûts de financement de ces pays qui sont déjà en mode austérité. L'enjeu est de taille, car l'Italie représente 25% des dettes européennes, et l'Espagne 9%, par rapport à seulement 7% pour la Grèce, l'Irlande et le Portugal combinés.

Pour y arriver, on veut augmenter la force de frappe du FESF d'environ 440 milliards aujourd'hui, à plus de 1000 milliards d'euros. En pratique, le fonds mettrait en place une structure d'assurance qui protégerait les investisseurs en cas de défaut sur les nouvelles obligations émises par l'Italie et l'Espagne. Il s'agirait en quelque sorte de swaps de défaillance subventionnés par l'État. Cette protection permettrait d'abaisser les taux d'intérêt.

Le FESF pourrait aussi encourager des investisseurs étrangers à injecter des capitaux dans un fonds spécial qui permettrait de soutenir les obligations de pays en difficulté.

Q: Quel rôle la Banque centrale européenne doit-elle jouer?

R: La question reste à savoir si le FESF aura les reins assez solides pour supporter le fardeau qu'on mettra sur ses épaules...

La France souhaite que la Banque centrale européenne s'implique davantage. Mais l'Allemagne s'y oppose. Deux Allemands ont déjà démissionné de la BCE pour cette raison. En principe, la BCE est indépendante et son rôle est surtout de contrôler l'inflation. Mais récemment, elle a fourni les liquidités nécessaires pour soutenir le secteur bancaire. «Mais c'est une solution de court terme. Ça ne peut pas durer. Et ce n'est pas son rôle de financer les pays en difficulté», dit M. D'Anjou.

Q: Quelle crédibilité peut-on accorder au plan d'austérité de l'Italie?

R: L'objectif immédiat des 17 pays membres de la zone euro est de ficeler un plan d'urgence pour rétablir le système financier. Mais les discussions de cette semaine pourraient être le point de départ d'une plus grande intégration des politiques budgétaires en Europe.

«Il doit y avoir une convergence des programmes sociaux. On ne peut plus se payer tout ça dans un contexte de vieillissement de la population. C'est l'Italie qui va montrer l'exemple», dit Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale.

En Italie, les programmes sociaux représentent le quart du PIB, par rapport à 16% au Canada et aux États-Unis. Par ailleurs, en Espagne, en Grèce et en Italie, il y a moins de 50% de la population qui travaille, pointe M. Marion.

L'Italie aura énormément de pression pour moderniser son marché du travail afin d'augmenter le taux d'emploi. «Si tu ne peux pas payer pour tes programmes sociaux, tu ne peux pas demander aux autres pays de le faire à ta place», dit M. Marion. À long terme, c'est ce qui est en jeu.