Les vérificateurs comptables externes se sont-ils rendus responsables des pertes des investisseurs en approuvant sans réserve les états financiers erronés de Mount Real?

Voilà le coeur du débat qui a eu lieu en cour, hier, dans le contexte de la demande faite par les 1600 victimes de Mount Real d'autoriser leur requête en recours collectif. Pour eux, il s'agit du dernier espoir de récupérer leurs investissements, puisque leur demande d'indemnisation à l'Autorité des marchés financiers (AMF) a été refusée pour des raisons techniques.

Selon leurs avocats, les états financiers de Mount Real sont «truffés de mensonges» et n'auraient donc jamais dû recevoir l'assentiment des vérificateurs comptables. Sans l'approbation des comptables, la fraude n'aurait jamais eu lieu, puisque Mount Real n'aurait pas eu la crédibilité qui lui a permis de recueillir 130 millions de dollars auprès des investisseurs.

Attestation?

Selon les états financiers, les billets à ordre vendus aux investisseurs étaient garantis. L'assentiment des vérificateurs a attesté de cette garantie, selon l'avocat Bruce Johnston, de la firme Trudel & Johnston. «Le public a confiance dans les marchés financiers parce qu'il est suffisamment sécuritaire d'y investir. Or, cette confiance repose sur les états financiers vérifiés par les comptables», a-t-il fait valoir.

Les victimes de Mount Real, qui ont tout perdu, demandent à la cour de pouvoir intenter un recours collectif contre les firmes comptables Deloitte & Touche, BDO Dunwoody et Schwartz Levitsky Feldman, entre autres. Ces firmes ont tour à tour été les vérificateurs de Mount Real. Les autres défendeurs sont les gardiens de valeur B2B Trust et Services financiers Penson Canada, de même que le patron de Mount Real, Lino Matteo et son chef des finances, Paul d'Andrea.

Règles comptables

L'avocat Bruce Johnston cite le manuel de l'Institut canadien des comptables agrées (ICCA), la bible des comptables. Certes, dit-il, les comptables doivent garder confidentiels les renseignements de leurs clients, comme l'était Mount Real. Cependant, le manuel dicte aux comptables de formuler des réserves aux états financiers s'ils détectent des irrégularités. En plus, si l'entreprise change de vérificateurs, les précédents vérificateurs ont le devoir d'aviser les nouveaux des apparences de fraude.

Riposte

En réplique, les avocats des firmes comptables ont plaidé qu'il est spéculatif de dire qu'il n'y aurait pas eu de fraude sans leur approbation. De plus, ils estiment que le recours collectif ne peut être autorisé parce qu'un trop grand nombre de questions individuelles surgit de la cause.

Surtout, ils affirment qu'il n'y a pas de lien causal entre les fonds versés par les investisseurs et les états financiers vérifiés. «La décision d'investir est-elle basée sur les états financiers. Si la réponse est non, il n'y a pas de lien causal et donc pas de matière à poursuite», a dit Avram Fishman, du cabinet Fishman Flanz Meland Paquin, qui cite la jurisprudence nombreuse à ce sujet.

Des victimes attentives

Dans la salle, plusieurs investisseurs ont suivi attentivement les débats. Certains n'ont presque rien compris, toutefois, en raison de leur unilinguisme anglais. Un des investisseurs nous a affirmé avoir eu confiance de placer des fonds dans Mount Real en voyant que les documents étaient vérifiés par la prestigieuse maison Deloitte & Touche.

Par contre, un autre nous a indiqué qu'il ne connaît rien aux rouages du système financier et qu'il s'est plutôt fié à son conseiller financier pour investir, en l'occurrence William Marston. L'homme, qui est portier dans un immeuble de condos, a perdu beaucoup d'argent, à tel point qu'il ne peut plus aider sa cousine veuve d'Israël, une mère de trois enfants à qui il envoyait 200$ par mois.

Bref, au-delà des débats techniques qui se sont déroulés en Cour ces derniers jours, des centaines d'investisseurs s'attachent à l'espoir d'être indemnisés. Le juge Jean-Pierre Buffoni, qui s'est dit impressionné par la qualité des présentations des deux parties, doit rendre sa décision d'autoriser ou non le recours collectif d'ici six mois, selon le Code de procédure civil.