Que se passe-t-il lorsqu'un assureur en acquiert un autre? Ça inquiète les avocats, surtout ceux qui pratiquent en droit des assurances. Voici pourquoi...

C'est bien connu, chaque fois qu'une entreprise avale un concurrent, il y a des gagnants - souvent les actionnaires - et des perdants - la plupart du temps les employés. Il arrive parfois que les dommages collatéraux se propagent aussi jusqu'aux fournisseurs, et notamment les cabinets d'avocats.

C'est ce qui pourrait se passer avec l'acquisition de l'assureur AXA Canada par son rival Intact pour 2,6 milliards de dollars. La transaction, annoncée la semaine dernière, devrait être conclue d'ici quelques mois, une fois approuvée par les autorités réglementaires.

D'ici là, bien des avocats travaillant en cabinet vont se poser des questions sur les conséquences qu'un tel regroupement pourrait avoir sur leur pratique et leur portefeuille. En fait, c'est déjà commencé. Dans certains cabinets de Montréal, on se gratte la tête, on se réunit, on revoit sa stratégie... et on refuse de parler aux journalistes tellement le sujet est sensible. On ne parle pas ici des avocats de fusions et d'acquisitions qui ont piloté juridiquement cette transaction. Ceux-là, du cabinet McMillan pour AXA, et de Blakes, pour Intact, n'ont rien à craindre et empocheront bientôt de jolis honoraires. Non, ceux que la fusion pourrait affecter pratiquent dans un secteur bien particulier: le droit des assurances.

Dans ce domaine, les avocats représentent les intérêts des assureurs dans tous les genres de litiges. En responsabilité civile, en responsabilité professionnelle, en responsabilité des produits, etc.

Par exemple, si votre chien mord votre voisin et que ce dernier décide de vous poursuivre, vous êtes probablement couvert par votre assurance responsabilité; votre assureur assumera votre défense devant les tribunaux et paiera donc les frais d'avocats. Même chose si le facteur glisse devant votre entrée. Ou encore si votre maison est ravagée par les flammes; votre assureur vous indemnisera, mais il poursuivra peut-être l'électricien s'il y a eu faute... et ce dernier sera défendu pas les avocats de son propre assureur.

Les Costco du droit

Pour un cabinet d'avocats, prendre des mandats des compagnies d'assurances, c'est un peu l'équivalent d'être un fournisseur de Costco ou de Walmart. Beaucoup de dossiers, des gros, mais surtout des petits litiges. Cela leur assure du travail continu toute l'année. Bref du volume, du volume, et encore du volume.

La contrepartie, les assureurs - comme Costco ou Walmart le font aussi - demandent des prix réduits. C'est pourquoi les taux horaires sont bien plus bas que dans d'autres domaines du droit. Souvent, les assureurs négocient des rabais de volume ou des forfaits fixes selon le type et la taille des litiges. Pour les cabinets, il s'agit d'un compromis acceptable: on abaisse les prix en retour de beaucoup de boulot garanti.

Au Québec, une poignée de cabinets se partagent le marché du droit des assurances. Des cabinets de taille moyenne comme Robinson Sheppard Shapiro, Lavery et Bélanger Sauvé comptent quelques dizaines d'avocats spécialisés dans le secteur. On trouve aussi quelques cabinets boutiques, comme Donati Maisonneuve, Fraticelli Provost, ou Nicholl Paskell-Mede, qui ne font que ça ou presque. Les grands cabinets - sauf pour des dossiers exceptionnels - ont pour la plupart délaissé ce marché à ces spécialistes, estimant les taux horaires trop bas. Bref, c'est un marché a maturité, tranquille, où chacun connaît sa place avec ses spécialités et ses clients.

Qui en profitera?

Or, voilà que la fusion d'AXA et d'Intact pourrait chambouler tout cela et rebrasser les cartes. On comprend très vite l'enjeu pour les avocats qui pratiquent dans ce domaine. Et leur questionnement. Car, dorénavant, quels cabinets obtiendront les mandats d'AXA? Les mêmes qu'auparavant? Ou bien Intact décidera-t-elle de tout regrouper vers les cabinets qu'elle connaît bien?

À court terme, il est peu probable que la fusion change quoi que ce soit. Les dossiers en cours suivront leur chemin. À plus longue échéance, toutefois, c'est moins évident.

Intact, c'est connu dans le milieu, aime bien rapatrier à l'interne le travail juridique. La société possède déjà un bon contentieux auquel viendront s'ajouter les avocats de celui d'AXA, encore plus gros! Pour les cabinets d'avocats, ce ne sont pas de bonnes nouvelles, car il y aura moins de boulot juridique sous-traité à l'externe.

Bien sûr, il y a tellement de dossiers qu'il y aura toujours du travail pour les cabinets. Mais lesquels profiteront de ce regroupement? Intact, c'est certain, a ses chouchous. La compagnie vient d'ailleurs tout juste de renouveler ses ententes avec plusieurs d'entre eux, comme elle le fait tous les deux ou trois ans. Nul doute qu'elle devra évaluer également ceux qui recevaient le gros des mandats d'AXA.

Mais chose certaine, peu importe le résultat, il y aura des gagnants... et des perdants.

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