C'est une étudiante douée qui parle plusieurs langues. Elle lit beaucoup, n'a pas de superpouvoirs, mais s'évertue à lutter contre le mal. On parle ici de la Fantômette de Georges Chaulet. Une héroïne qui ressemble à Corey Anne Bloom qui, depuis plus de 15 ans, démasque les fraudeurs en entreprise. Elle a raconté à La Presse Affaires plusieurs enquêtes menées au Canada et aux États-Unis...

Une Fantômette, la juricomptable Corey Anne Bloom? Elle a des airs de l'héroïne. D'abord, parce que la spécialiste en fraude adore les mystères et veut les élucider depuis le premier jour ou elle a plongé son nez dans des romans.

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Parce qu'elle a réalisé son rêve dès la jeune vingtaine. Et parce que la vice-présidente du cabinet RSM Richter Chamberland a obtenu son diplôme supérieur en juricomptabilité avec une moyenne générale de 4. La note parfaite!

Dans les années 90, elle lance sa carrière en mettant le doigt sur une fraude de plusieurs milliers de dollars dans une entreprise publique. Le contrôleur, absent un matin à cause d'un mal de dents, doit encore s'en mordre les doigts! Car c'est son assistante qui ne se doutait de rien qui a alors remis les livres à vérifier à Corey Anne Bloom. La comptable junior qu'elle était s'est alors aperçue qu'elle ne regardait pas les colonnes de chiffres de la veille... «Par la suite, mon cabinet m'a mis sur les mandats qui avaient l'air étrange», raconte-t-elle.

Corey Anne Bloom se défend de mettre les pieds dans une entreprise en enquêteuse qui veut pincer des coupables. Elle arrive habituellement comme une comptable. Pas question d'alerter tous les employés quand on soupçonne que ça ne tourne pas rond. «Je préfère la subtilité, dit-elle. Les relations interpersonnelles constituent plus de la moitié de mon travail. Un bon enquêteur de fraude est à la fois comptable, avocat, psychologue et policier. Il m'est déjà arrivé qu'un homme qui avait fraudé me remercie et m'avoue en pleurant qu'il n'était pas fier de ce qu'il avait fait. Il faut savoir écouter.»

«Fraude»... le mot n'a jamais été aussi populaire. «Le monde des affaires s'est réveillé après le cas d'Enron, explique Corey Anne Bloom. On est plus alerte. Aux États-Unis, on a essayé de faire plus de réglementation. Cela dit, nous sommes tous vulnérables à la fraude. Qu'on soit une multinationale ou une PME»

Selon le Report to the Nation de l'Association des examinateurs certifiés en fraudes, 5% du revenu brut des organisations sont perdus à cause de la fraude. Et là, on ne parle pas des impacts physiques et psychologiques sur les victimes, note Corey Anne Bloom. «Ça engendre des coûts élevés sur le système de santé.»

On peut prévenir les fraudes en établissant des méthodes de dénonciation avec assurance de confidentialité, un code de conduite et d'éthique connu du personnel, en apprenant aux employés à quel point la fraude peut nuire à tout un groupe et en faisant des vérifications-surprises. «Il faut être proactif, dit Corey Anne Bloom. Être réactif peut coûter des centaines de milliers de dollars.»

Et encore... «La propriétaire d'un commerce de détail m'a un jour dit qu'elle perdait de l'argent et que c'était surprenant, car, côté contrôle, c'était digne de Fort Knox! Là-bas, j'ai posé des questions pour me rendre compte que la contrôleuse avait fraudé pour 250 000$ en cinq ans et demi. Elle travaillait très fort et rentrait au bureau les week-ends et le soir. Elle avait des enfants, était récemment divorcée, avait un nouveau chum et voulait rénover sa piscine. J'ai demandé aux employés ce que faisaient les enfants le week-end. Ils accompagnaient leur mère et jouaient sur l'internet, car des employés leur avaient donné leur mot de passe. Le contrôle de base n'était plus là.»

Corey Anne Bloom a, par ailleurs, déjà suggéré à des patrons de PME de distribuer eux-mêmes occasionnellement les payes à chaque employé. Juste pour s'assurer qu'il ne leur en reste pas en main après leur tournée...

Comme il n'y a pas de fraude typique, la juricomptable a toujours un Computer Fraud ou un Corporate Fraud Handbook comme lecture de chevet. «Les fraudeurs sont très créatifs, souligne-t-elle. Je suis dans un domaine très dynamique. L'internet, par exemple, a beaucoup changé la donne. Des logiciels nous permettent d'accélérer notre travail. Mais l'internet donne aujourd'hui une dimension internationale aux fraudes.»

N'a-t-elle jamais pensé être inspectrice? «Oui, mais j'aime trop les mathématiques, répond-elle. Je pourrais être Fantômette un jour! C'est comme de l'adrénaline. Ça me passionne, mais ça me frustre quand ça arrive. Personne n'est à l'abri... moi un peu moins!»