Pendant cinq ans, il a préféré se taire, mais Bruno Pelletier en a maintenant assez. Le chanteur a décidé de rendre publics ses déboires financiers dans l'affaire Mount Real, choqué par l'injustice que vivent les victimes de ce scandale méconnu.

À la fin de 2005, en pleine répétition pour la production Dracula, Bruno Pelletier apprend la pénible nouvelle: Mount Real est saisie par l'Autorité des marchés financiers (AMF) et les coffres de l'entreprise sont vides.

Entre 1999 et 2005, Bruno Pelletier avait placé 250 000 $ dans les billets soi-disant garantis de l'organisation, à bon taux d'intérêt. Comme les autres investisseurs, il perd tout. «J'hallucinais complètement, complètement. Mais j'avais un show à livrer, alors je n'ai pas pu m'occuper de l'affaire», raconte le chanteur.

Quelque 1600 investisseurs subissent alors le même choc que Bruno Pelletier. Globalement, ils avaient placé 130 millions de dollars dans l'organisation dirigée par le comptable Lino Matteo.

Mount Real avait été lancée par la firme Norshield, celle-là même qui avait transféré aux Bahamas les fonds de Cinar, producteur de la série pour enfants Caillou.

Les autorités ont bloqué Mount Real en novembre 2005, quelques semaines après Norbourg. Pourtant, les dirigeants de Mount Real n'ont toujours pas été jugés, alors que Vincent Lacroix vient de sortir de prison. Pire: le recours collectif des victimes de Norbourg est réglé, alors que celui de Mount Real n'a pas encore été présenté devant un juge, embourbé dans le système judiciaire.

«Ça n'a pas de bons sens qu'on parle aussi peu d'un des plus gros scandales au Québec. Les victimes, on ne comprend pas le traitement qu'on nous réserve. Nous sommes tannés d'attendre», dit-il.

Les mésaventures de Bruno Pelletier ressemblent à celles de bien des victimes. En 1999, le chanteur de Notre-Dame de Paris a fait confiance à un ami, son voisin de Terrebonne, conseiller financier. Il commençait à avoir du succès et cherchait à placer des fonds dans un placement prudent, à l'abri des aléas du métier.

«Il me disait que Mount Real et Norshield étaient des entreprises légitimes, que mon capital était garanti. Je lui ai fait confiance, c'était un professionnel du métier, avec un permis de l'AMF», dit-il.

Bruno Pelletier a pu retirer les intérêts de son placement, certaines années. Il en a aussi réinvesti une partie. Mais ces versements cachaient un stratagème à la Ponzi, selon le recours collectif. Dans un tel stratagème pyramidal, les investisseurs sont payés avec l'argent des nouveaux entrants et non avec les rendements réellement obtenus par l'organisation. C'est lorsqu'un grand nombre d'épargnants réclament leur dû en même temps que la pyramide s'écroule, les fonds étant insuffisants.

«On se sent tellement crétin de se faire attraper comme ça. Un deux de pique. Dans une réunion, je me suis toutefois rendu compte que plein de gens de tous les milieux se sont fait prendre. Autant des petits travailleurs que des professionnels. Ils ont perdu leurs économies d'une vie», raconte-t-il.

Le chanteur a fait une demande au fonds d'indemnisation de l'AMF destiné à protéger les investisseurs. Sa demande a été refusée, comme tous les autres, même si Mount Real était inscrite en Bourse et que son conseiller financier avait un permis. L'AMF affirme qu'elle n'avait pas approuvé les billets de Mount Real, condition essentielle à une indemnisation.

En vertu du règlement entériné cette semaine, les investisseurs de Norbourg seront remboursés en totalité. L'AMF contribue à hauteur de 20 millions de dollars dans ce règlement. Les firmes privées KPMG, Northern Trust et Concentra, entre autres, ont comblé la différence pour atteindre les 55 millions nécessaires à une indemnisation complète.

Les 1600 créanciers de Mount Real réclament un traitement équitable. Ces dernières semaines, 130 investisseurs ont fait parvenir des lettres au juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, pour qu'on cesse de reporter l'audition de leur recours collectif.. «Message reçu», a répondu, jeudi, le juge Rolland à l'avocat de Mount Real.

En plus des dirigeants, la demande de recours collectif vise les firmes comptables qui ont approuvé les livres comptables de Mount Real, notamment Deloitte&Touche. La requête tient également pour responsable les gardiens de valeurs B2B Trust, filiale de la Banque Laurentienne, et Services financiers Penson.

«Les vérificateurs ont été des rouages essentiels de cette vaste fraude. En signant des rapports de vérification à l'appui d'états financiers truffés de mensonges et d'omissions, les vérificateurs ont commis des fautes qui les rendent solidairement responsables des préjudices subis par les membres du groupe», est-il écrit dans le recours.

Bruno Pelletier espère maintenant que la cause de Mount Real retiendra l'attention qu'elle mérite, au bénéfice des centaines de famille qui ont vu leur vie basculer.