Pour une des rares fois au Canada, des accusations criminelles sont déposées dans un dossier de manipulation boursière. Ces accusations visent 11 personnes de Montréal et de Toronto, dont l'homme d'affaires Jacky Quan.

Essentiellement, les malfaiteurs présumés se sont servis des régimes enregistrés d'épargne-retraite (REER), comptes de retraite immobilisés (CRI) et fonds de revenu viager (FRV) de certains investisseurs pour manipuler une soixantaine de titres boursiers canadiens. Environ 120 victimes ont été dépouillées d'une somme avoisinant les 3 millions de dollars.

L'enquête Carrefour, qui a mené aux accusations d'hier, avait été mise au jour en décembre 2009 lors de l'arrestation des individus. Cette enquête est le fruit d'une collaboration entre la GRC et l'Autorité des marchés financiers (AMF), réunies au sein de l'Équipe intégrée de la police des marchés financiers (EIPMF).

Le responsable de l'enquête, Paul Garside, affirme qu'il s'agit, de mémoire, de la première série d'accusations criminelles au Canada de manipulation boursière (article 382 du Code criminel). «C'est assurément une première depuis que l'Équipe intégrée a été formée, en 2003», dit-il.

Huit individus sont accusés de manipulation boursière. Le manipulateur en chef est un certain Jacky Quan, connu dans le milieu des affaires comme l'ex-premier vice-président de Millenia Hope. Les autres sont Gia Tuong Quan, Normand Bouchard, Mario Dumais, Mario Paquin, Tri Minh Huynh, Robert Savoie et Claude Valade.

Quatre individus font aussi face à d'autres accusations non liées aux manipulations boursières, soit Claude Valade, René Viau, Rénald Gagnon et Richard Tremblay. Ils sont accusés d'une fraude de 140 000$ en lien avec cette affaire.

Les 11 personnes sont toutes accusées d'avoir commis des infractions en complotant ensemble, c'est-à-dire en formant une organisation criminelle.

La manipulation boursière est un acte criminel, passible de 10 ans de prison. Par le passé, les autorités ont accusé des individus de manipulation en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières plutôt qu'en vertu du Code criminel. Les exigences de preuve sont plus imposantes avec des accusations criminelles. Dans ce dossier, par exemple, la GRC a utilisé des méthodes d'enquêtes policières typiques, comme la filature, l'écoute électronique, etc.

Les victimes ont été recrutées par l'entremise de petites annonces dans les médias régionaux. L'organisation les convainquait de vider leurs régimes REER, CRI ou FRV moyennant un versement d'argent comptant, habituellement 40% du régime, et en promettant de bons rendements boursiers.

Dans les faits, les fonds de leurs régimes obtenaient des rendements catastrophiques, l'argent étant investi dans des titres boursiers manipulés. Ce type de manipulation s'appelle transactions de jumelage (match trading). Essentiellement, les malfaiteurs présumés achetaient des blocs d'actions de petits titres boursiers à prix d'aubaine. Ces titres étaient par la suite revendus à prix fort aux régimes d'épargne des victimes, régimes qu'ils contrôlaient.

«En vendant sur le marché des blocs d'actions au même moment que les demandes d'achat des régimes, les transactions de jumelage étaient réalisées», explique M. Garside.

Ce type de jumelage est possible parce que les titres visés ont peu de volume de transactions. Autrement dit, il n'y a souvent qu'un seul acheteur d'un certain nombre d'actions à un moment précis dans le temps. Le jumelage n'aurait pu être fait avec des titres à gros volume, comme Bombardier et BCE, car les acheteurs et vendeurs sont très nombreux.

59 titres boursiers manipulés

Au total, 59 titres boursiers d'entreprises canadiennes ont été manipulés par l'organisation, probablement à l'insu de leurs dirigeants. Les titres étaient échangés à la Bourse de croissance TSX (TSX-Venture). Il s'agit de titres, souvent dans le secteur minier, qui changent de mains pour quelques cents l'action.

Les transactions boursières ont été réalisées entre le 15 mai 2008 et le 24 novembre 2009. L'entreprise controversée Millenia Hope, qui a fait l'objet d'une longue enquête de La Presse à l'automne dernier, ne fait pas partie de cette liste.

Les accusés comparaîtront le 11 mars. Ils font face à un total de 18 chefs d'accusation.