La Suisse, qui a récemment ordonné le gel des avoirs des chefs d'État tunisien Ben Ali et ivoirien Laurent Gbagbo, renforce son arsenal pour faciliter la restitution de fonds détournés, comme ceux de Duvalier en Haïti.

La Suisse a restitué près de 1,70 milliard de francs suisses (1,78 milliard de dollars) ces quinze dernières années, «bien davantage que n'importe quelle autre place financière», indique le ministère des Affaires étrangères helvétique dans un communiqué.

En se dotant mardi d'une loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées, la Suisse «complète ce dispositif de restitution et confirme sa place de leader».

Elle pourra remettre aux populations spoliées des avoirs illicites même si l'entraide judicaire avec l'État concerné n'a pas abouti, car la loi rend «possible la confiscation» des fonds «sans condamnation préalable».

Un projet né des difficultés rencontrées par le gouvernement «pour restituer des fonds bloqués en Suisse après le non aboutissement de procédures pénales nationales, tel que dans les cas Mobutu et Duvalier».

La loi a été surnommée «Lex Duvalier» en référence à la longue bataille judiciaire sur la restitution au peuple haïtien de quelque 6 millions de francs suisses (6,3 millions de dollars), déposés par la famille Duvalier sur des comptes suisses.

Le récent retour de M. «Duvalier en Haïti n'a aucune influence sur la procédure qui pourra être menée en Suisse sur la base» de la nouvelle loi, précise une porte-parole du ministère, Jenny Piaget, interrogé par l'AFP.

«Dans le cas des avoirs Duvalier, le délai d'ouverture d'action» par le gouvernement suisse «n'est que d'un an», au lieu de dix, «car il s'agit là d'une disposition transitoire» de la nouvelle loi, précise Mme Piaget.

Pour ce qui est de l'ex-président du Zaïre (désormais la RDC) Mobutu Sese Seko, «la Suisse s'est efforcée pendant 12 ans de restituer l'argent bloqué à la RDC», une opération sans «succès notamment en raison du manque de coopération de cet État».

Pour Mark Pieth, professeur suisse de droit pénal, la nouvelle loi suisse comporte de «graves lacunes». Il regrette qu'elle ne puisse être appliquée que si les procédures d'entraides judiciaires dans l'État concerné n'aboutissent pas en raison de la défaillance de son système judiciaire.

D'autres experts critiquent l'empressement de la Suisse à vouloir trop bien faire. Comme pour le gel en janvier des avoirs des chefs d'État tunisien Ben Ali et ivoirien Laurent Gbagbo.

«Aujourd'hui, la Suisse pratique l'entraide spontanée, c'est-à-dire qu'elle agit sans que personne ne lui demande quoi que ce soit. Cela ressemble un peu à un rachat de conscience politique», estime un des ténors du barreau genevois Dominique Warluzel à la radio suisse.

«Il y a une trentaine d'années, même une vingtaine d'années, les fonds Duvalier, les fonds Marcos étaient entreposés en Suisse, la Suisse le sachant sans que jamais aucune mesure ne fut prise, en tout cas pas avant que les pays concernés ne saisissent la Suisse d'une requête d'entraide», explique-t-il.

Comme l'explique le ministère des Affaires étrangères, la Suisse a réagi à cette situation «à la fin des années 1980» après les cas «Marcos (Philippines), Abacha (Nigeria) et Montesinos (Pérou)».

«Le premier cas de restitution qui impliquait un gel par le Conseil fédéral (gouvernement) était le cas «Marcos» qui a débuté en 1986», souligne ainsi Mme Piaget.

Les cas dit «des fonds angolais», celui des «fonds kazakhs» et le cas Salinas (Mexique) ont également suscité un grand intérêt médiatique.