Pour réaliser une importante transaction, il faut une armée d'avocats. Mais sont-ils tous vraiment utiles?

Combien d'avocats cela prend-il pour réaliser une transaction de plusieurs milliards de dollars? La Presse Affaires s'est posé la question à la suite de l'acquisition il y a quelques semaines du producteur de minerai de fer canadien Consolidated Thompson Iron Mines par l'américaine Cliffs Natural Resources pour une somme de 4,9 milliards. Dix, vingt, trente? Nous les avons comptés, nous nous sommes arrêtés à 51...

À première vue, ça fait beaucoup de juristes pour un simple transfert de propriété. Mais en grattant un peu plus loin, on se rend compte à quel point une telle opération peut être complexe juridiquement parlant. Et qu'il faut beaucoup de cerveaux et de bras juridiques pour la réaliser.

«Cinquante avocats? C'est courant pour une transaction d'une telle envergure: il y a tellement de choses à considérer», dit l'associé Charles Spector, du bureau de Montréal de FMC.

D'abord, le nombre de cabinets qui participent. Dans ce cas-ci, on en compte quatre. Le canadien Blakes et l'américain Jones Day ont représenté Cliffs. Le canadien FMC s'est occupé de Thomson, alors que Cassels Brock & Blackwell, de Toronto, a représenté le comité responsable de l'opération.

Blakes a, de loin, obtenu la plus grosse part du gâteau: pas moins de 32 avocats ont boulonné sur le dossier. FMC, représentant les vendeurs, n'a eu recours qu'à une dizaine d'avocats. Normal, explique Me Spector, le cabinet représentant l'acheteur est généralement le plus occupé. Mais allons plus loin, qu'est-ce qui détermine vraiment le nombre d'avocats requis dans une transaction?

Plus c'est gros, plus il y a d'avocats!

Évidemment, l'ampleur de la transaction joue un rôle, souligne l'associé John Leopold, du bureau de Montréal de Stikeman Elliott.

«Plus la transaction est importante, plus les clients vont être prêts à dépenser en frais juridiques, ne serait-ce que pour s'assurer que tout se passe bien», dit l'avocat.

Parlant de frais, à combien peuvent-ils grimper pour une telle transaction? Difficile à chiffrer lorsqu'on ne connaît pas le nombre d'heures facturées. Mais faisons une moyenne à 500$ l'heure par avocat, ce qui est très prudent, compte tenu des taux horaires de certains associés. Au bout du compte, pour 50 avocats, toutes parties confondues, la transaction «roule» à 25 000$ l'heure!

Autre élément important: le rôle du contentieux. Si l'entreprise possède un grand département juridique à l'interne, elle aura moins besoin des services d'avocats externes. Mais cet élément n'influence par vraiment le nombre d'avocats; il joue seulement en défaveur des grands cabinets.

Bien sûr, la nature et la complexité du deal comptent. Une transaction transfrontalière, comme celle de Cliff/Thomson, est plus compliquée parce qu'elle requiert des avocats des deux côtés de la frontière et qu'elle a des incidences fiscale et réglementaire dans deux pays.

«Comme les lois sont de plus en plus compliquées, il faut davantage de ressources juridiques», explique John Leopold.

Des transactions complexes

Mais surtout, on n'imagine pas à quel point une transaction comme celle-ci a des répercussions sur une foule de domaines. Il faut analyser les aspects réglementaires et de concurrence, les impacts environnementaux, la fiscalité, l'immobilier, effectuer une vérification diligente des documents d'opération et financiers.

«Juste en droit des valeurs mobilières et en droit bancaire, il y a un travail énorme», dit Charles Spector, de FMC. Chez Blakes, les aspects «corporatifs et valeurs mobilières» de la transaction ont d'ailleurs mobilisé jusqu'à 18 avocats, de Montréal et de Toronto.

En droit du travail et de l'emploi, le boulot est considérable. Il faut passer au travers des conventions collectives et des clauses concernant les parachutes dorés. Dans beaucoup de situations, les cadres les plus importants d'une entreprise ont des clauses qui leur octroient des petites fortunes lors d'un changement de contrôle. Dans certains cas, ce peut être suffisant pour faire avorter la transaction, tellement les sommes sont faramineuses. D'où l'attention particulière des avocats des acheteurs à ce genre de contrats. Et aucun doute, il y avait des choses de ce type à analyser dans la transaction Cliffs/Thomson.

Charles Spector parle aussi du facteur «urgence» pour expliquer qu'on utilise autant d'avocats. Il souligne que dans ce genre de transactions, toutes sortes de choses peuvent survenir. Un imprévu et hop! la transaction prend le champ. Il faut donc beaucoup d'avocats pour aller plus vite. «On ne peut pas niaiser, car on ne sait jamais ce qui peut se passer, dit Me Spector. Le temps est souvent critique.»