Hugues Le Bret est un fringant jeune homme de 46 ans qui arrive en scooter de sa banlieue cossue au rendez-vous fixé chez son éditeur. Depuis le 8 octobre dernier, il a passé le plus clair de son temps sur les plateaux de télévision. Normal: le livre qu'il vient de sortir raconte - c'est le titre de l'ouvrage - «la semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial».

L'auteur, ancien journaliste devenu directeur des communications de la vénérable Société Générale, était l'un des membres de la petite cellule qui, en janvier 2008, avait pendant quatre jours géré dans le secret total une crise incroyable.

Le dimanche 20 janvier à 13h, la demi-douzaine de dirigeants réunis dans le bureau du PDG Daniel Bouton constatent la catastrophe: un obscur trader de 30 ans, Jérôme Kerviel, fou ou voyou, ou les deux à la fois, a engagé frauduleusement la banque pour la somme vertigineuse de 50 milliards d'euros. Soit une fois et demie les fonds propres de la banque.

«Ce n'était plus seulement désastreux pour l'image de la Société Générale, dit aujourd'hui Hugues Le Bret: cela signifiait un risque de faillite pure et simple. Pour un établissement bancaire dont le bilan annuel - 1100 milliards d'euros - est deux fois plus important que celui de la Lehman Brothers. Par un effet de dominos, on pouvait voir s'écrouler le système financier mondial.»

Hugues Le Bret a-t-il voulu dans ce livre blanchir la Société Générale de toute responsabilité? Lui jure que non: «J'ai seulement cherché à retracer les étapes de cette crise, explique-t-il. Pour que la leçon serve dans le futur. Je n'ai nulle part écrit que la SG avait été parfaite. Mais elle a surtout été victime d'une conjonction de malchances au carré. Que cette fraude intervienne en pleine crise des subprimes. Que le responsable du desk de Kerviel soit un nouveau qui venait d'arriver de Tokyo. Que Kerviel ait été un homme de confiance qui avait été responsable des contrôles, etc.»

En tout cas, si le livre était un plaidoyer en faveur de la banque - fondée en 1864 -, son auteur a été bien mal récompensé: «Pour avoir écrit ce livre, dit-il, j'ai dû démissionner de mon poste de directeur de Boursomara, une banque en ligne filiale de la SG. Ayant brisé l'omerta qui protège les délibérations à la direction des banques, je me suis moi-même mis au bande la profession. Mais je crois qu'il était important de tout écrire, pour éviter que cela se reproduise.»

Hugues LeBret maintient donc ses positions: «Il y avait certes à l'époque une folle atmosphère de course au rendement. Mais pas davantage à la Société Générale que dans les autres grandes banques françaises. De grands banquiers allemands ou anglais ont avoué qu'une telle catastrophe aurait pu se produire chez eux. Car jamais on n'a demandé à Kerviel de prendre des positions spéculatives. Encore moins d'engager la banque pour une fois et demie ses fonds propres. Son entreprise insensée a été le résultat de manoeuvres frauduleuses brillantes, qui, chaque fois, masquaient les prises de position par des contreparties fictives. Et les systèmes de contrôle, défaillants, ont finalement fonctionné. Mais trop tard: Kerviel en était à 50 milliards d'euros. Il a fallu, pour éviter des pertes abyssales, «déboucler»en deux jours et demi. Avec des pertes finales «limitées»à 4,9 milliards. Tout en réussissant la même semaine une recapitalisation de 5 milliards sur les marchés internationaux. Le pire était évité. C'est-à-dire la faillite susceptible de provoquer une crise financière mondiale.»

Le 5 octobre dernier, le célèbre Jérôme Kerviel était condamné à cinq ans de prison, dont trois ferme, et au remboursement de 4,9 milliards d'euros à la Société Générale: «La prison ferme était une décision juste, dit Le Bret. Quant au remboursement des 4,9 milliards, il s'agissait d'une disposition juridique destinée à évaluer le préjudice subi. Et à éviter qu'ultérieurement, il touche des sommes importants sur la vente d'un livre. Il n'a jamais été question d'exiger ce remboursement. Je sais que dans le public ou sur l'internet, beaucoup tiennent Kerviel pour une victime. Alors qu'il a été tout simplement un incroyable fraudeur au sein d'une banque qui compte 160 000 salariés.»

«Je sais que c'est difficile à croire, ajoute Hugues Le Bret, mais Kerviel a agi seul. Dans quel but? Même pas pour gagner beaucoup d'argent. Par un goût frénétique pour le jeu? Sans doute. Mais cet homme reste un mystère.»

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La semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial, 334 pages, Éd. les Arènes Paris 2010.