Une nouvelle affaire Kerviel exposant un établissement financier à des pertes colossales peut se reproduire aujourd'hui, car les pratiques à haut risque n'ont pas fondamentalement changé sur les marchés malgré les contrôles renforcés dans les banques, selon des experts.

L'ancien trader de la Société Générale Jérôme Kerviel a été lourdement condamné mardi par la justice à trois ans de prison ferme et 4,9 milliards d'euros (6,9 milliards de dollars CAN) de dommages et intérêts, montant correspondant à la perte imputée en 2008 par la banque française à son ex-employé.

«On ne peut pas exclure qu'une telle fraude puisse se reproduire dans une banque, même si cette affaire a eu pour conséquence un vrai renforcement du contrôle interne», s'alarme vendredi le président du gendarme de la Bourse (AMF) Jean-Pierre Jouyet sur le site du journal Le Monde.

Ce scandale, d'autres pertes dues à des pratiques douteuses, et la débâcle née de la crise des «subprime» aux États-Unis (prêts immobiliers à hauts risques) a incité les établissements financiers, sous la pression des États, à renforcer les garde-fous et leurs équipes dédiées au contrôle.

Première échaudée, la Société Générale a investi 150 millions d'euros sur trois ans dans cette démarche, créant notamment une entité ad hoc (SAFE) pour coordonner le contrôle permanent de ses opérations de financement et d'investissement.

«Depuis cette affaire, il y a énormément de "risk managers" qui ont été nommés dans toutes les banques. Ils sont rattachés directement au "front office" (où officient les traders) et ont le poids pour contredire ce que font les traders», explique Antoine Halm, de la société d'investissements Louis Capital Markets.

Sur le site international FinancialCareers, spécialisé dans le secteur bancaire et de la finance, les offres d'emplois liés à la gestion du risque ont explosé cette année pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique, avec un bond de 65% par rapport à 2009.

Le cas Kerviel n'est pas isolé et pourrait bien se reproduire, relève lui aussi James Bennett, l'un des dirigeants de ce site basé à Londres.

«Des établissements comme Sumitomo, Daiwa, Allied Irish, Amaranth et Barings ont tous souffert de traders sans foi ni loi et la faute est partagée à égalité entre eux et l'établissement» concerné, déclare-t-il à l'AFP.

«Dans de nombreux cas, les banques ont encouragé des attitudes déviantes au départ», souligne-t-il. Pour preuve, le précédent retentissant de Nick Leeson, le courtier britannique à l'origine de la faillite de la vénérable banque londonienne Barings dans les années 1990. «La banque a loué les performances du trader avant que ses pertes n'apparaissent», rappelle M. Bennett.

«Les choses n'ont pas fondamentalement changé», abonde Sophie van Straelen, de la société Asterias d'analyse sur les «hedge funds» (fonds spéculatifs). Elle fait valoir que les banques américaines, sous la pression de l'administration Obama, ont fortement réduit leurs activités les plus risquées mais s'interroge: «quid des banques européennes?».

Les banques françaises affirment avoir fortement réduit leurs pratiques à risque, mais l'absence de données chiffrées empêche d'en prendre la mesure.

«En fait, aux États-Unis, les banques n'ont pas réduit ces activités à risques, elles les ont transplantées ailleurs», relativise Marc Fiorentino, président de la société de Bourse Euroland Finance. Une bonne part de leurs bénéfices vient des opérations de marché «et elles ne vont donc pas se faire hara-kiri», pointe-t-il.

Selon un autre gestionnaire, «on va créer des "hedge funds" pour externaliser les risques et faire de la magie comptable» afin de maquiller d'éventuelles pertes. Avec un risque pour l'ensemble du système financier qui reste le même.