La nouvelle avait eu l'effet d'une bombe. Le jeudi 25 août 2005, il y a cinq ans, l'AMF et la GRC menaient des perquisitions à Montréal, Québec, Sherbrooke et Toronto dans ce qui allait devenir la plus célèbre fraude financière du Québec. Les investisseurs et les autorités ont-ils tiré des leçons de l'affaire Norbourg?

Cinq ans après l'éclatement du scandale, l'affaire Norbourg a eu des impacts considérables sur le marché, conviennent les experts. Il a éveillé les épargnants, en plus de modifier l'environnement légal des entreprises de placements et écorché le milieu financier.

«L'affaire Norbourg a certainement augmenté la vigilance des investisseurs, ce qui est une bonne chose», dit Pierre Laporte, qui a été administrateur puis liquidateur des biens de Norbourg.

Même son de cloche de l'avocat Jean Martel, spécialisé en valeurs mobilières. «Il y a eu chez les épargnants une prise de conscience plus systématique de la fraude financière et la possibilité que des personnes avec un permis puisse se servir de leur inscription à l'AMF pour détourner des fonds», dit-il.

Certes, des arnaques financières continuent de voir le jour, qu'on pense à la fraude d'Earl Jones ou, plus récemment, à la présumée pyramide de Ponzi de Carole Morinville, qui a frappée la comédienne Karine Vanasse, entre autres. Mais il reste que la fraude de Vincent Lacroix a incité de nombreux investisseurs à redoubler de prudence.

«Bien des investisseurs se sont tournés vers les grandes institutions financières pour leurs épargnes et plusieurs petits bureaux de conseillers financiers ont écopé, même si la plupart son honnêtes», dit M. Laporte.

De son côté, l'Autorité des marchés financiers (AMF) est également devenue plus vigilante, quoi qu'on en dise. D'abord, le nombre d'inspecteurs et d'enquêteurs est passé de 47 à 112 depuis cinq ans. Avant Norbourg, en 2004, seulement 8 dossiers d'enquête étaient en traitement à l'AMF, contre 112 en 2010.

«On a augmenté le montant des amendes et élargi la panoplie de moyens d'actions. L'AMF est maintenant plus vigilante et administre la réglementation de façon plus rigoureuse», affirme l'avocat Jean Martel, de Lavery, De Billy.

Un des exemples éloquents de cette vigilance est le recours accru aux blocages de comptes d'entreprises suspectes. Ces blocages sont faits après des demandes de l'AMF formulées au tribunal des valeurs mobilières, appelé le Bureau de décision et de révision (BDR). Ces demandes ex parte de l'AMF, c'est-à-dire sans que l'intimé en ait connaissance, sont faites dès qu'il y a un risque de détournement de fonds.

Pierre Laporte abonde dans ce sens. «Il y a eu des changements dans la loi sur la nomination des administrateurs judiciaires. Avant, il était difficile de prendre le contrôle de sociétés délinquantes. Plus maintenant. L'AMF peut prendre le contrôle d'une entreprise et la mettre en faillite plus rapidement en faisant nommer un séquestre», dit-il.

L'avocat Neil Stein, qui a piloté les dossiers d'Earl Jones, de Perry Newman et de Carole Morinville, notamment, croit aussi que l'AMF agit plus rapidement. Il note également une meilleure collaboration entre l'AMF et les forces policières. «Au lieu de prendre rapidement des procédures pénales, l'AMF laisse aux policiers le temps de monter leur dossier criminel», dit-il.

Dans le dossier Norbourg, rappelons-le, l'AMF s'est fait reprocher par un juge d'avoir déposé des accusations pénales trop rapidement, ce qui a nui aux procédures criminelles. La preuve au criminel est plus difficile à faire, mais débouche sur des peines plus sévères.

L'affaire Norbourg aura également imposé des limites aux autorités face à la criminalité financière. D'abord, les tribunaux ont ramené de 12 ans à 5 ans moins un jour la sentence pénale de Vincent Lacroix, jugeant que les peines pour divers chefs d'accusation pénales devaient être purgées de façon concurrente plutôt que consécutive.

L'AMF a demandé à la Cour suprême de se prononcer, mais elle a mordu la poussière, cette dernière refusant d'entendre l'appel. Pour remédier à ce problème, le ministre des Finances, Raymond Bachand, a déposé un projet de loi, en décembre, visant à permettre que les peines pénales soient purgées consécutivement.

Autre embûche pour les autorités: l'échec du procès des cinq autres accusés de l'affaire Norbourg. Le jury n'a pu s'entendre sur un verdict devant la complexité du dossier (700 chefs d'accusation et 30 000 pages de documents comptables). La Couronne s'est fait reprocher de ne pas avoir suffisamment synthétisé le dossier. Un autre procès devrait avoir lieu et la Couronne devrait avoir tiré des leçons du premier procès.

Bref, l'affaire Norbourg a secoué les investisseurs et le monde judiciaire et financier. L'avocat Neil Stein ne se fait toutefois pas d'illusions. «Il y a encore des fraudes incroyables. Ce qui ne change pas, c'est l'appât du gain, ce désir des gens d'avoir des rendements irréalistes», dit-il.



CHRONOLOGIE

1998

Janvier

Vincent Lacroix fonde Norbourg Gestion d'actifs.

2003

Décembre

Norbourg acquiert les Fonds Évolution, qui détiennent un portefeuille de 21 fonds communs, totalisant alors 108 millions de dollars en actifs sous gestion.

2005

25 août

Des policiers de la GRC et des représentants de l'Autorité des marchés financiers (AMF) perquisitionnent les bureaux de Norbourg.

Une semaine plus tard, le cabinet d'avocats Lauzon Bélanger dépose un recours collectif au nom de 9200 investisseurs floués dans l'affaire.

13 octobre

Vincent Lacroix met lui-même Norbourg en faillite.

25 octobre

Le ministre québécois des Finances, Michel Audet, donne le feu vert à la liquidation des Fonds Norbourg et Évolution.

2006

9 mars

L'AMF dépose une poursuite pénale sous 51 chefs d'accusation contre Vincent Lacroix, tout en continuant de préparer un recours civil.

23 mars

L'AMF suspend huit de ses employés qui ont fait preuve «d'imprudence et d'un manque de jugement» en ayant des contacts avec un employé de Norbourg.

1er juin

Le fisc québécois renonce à percevoir 24,1 millions de dollars dus par Vincent Lacroix.

29 juin

Désignée comme liquidateur dans le dossier Norbourg, la firme comptable Ernst&Young distribue aux investisseurs floués 5600 chèques totalisant 32 millions de dollars.

8 juillet

Ernst&Young entreprend la liquidation des actifs personnels du patron déchu de Norbourg, Vincent Lacroix.

13 septembre

Le juge Pierre Jasmin accepte la requête en recours collectif de 130 millions de dollars d'un groupe d'investisseurs contre Vincent Lacroix et l'AMF.

2007

19 janvier

Le Fonds d'indemnisation des services financiers verse 31 millions de dollars à 925 investisseurs floués de Norbourg.

9 mai

Début du procès pénal de Vincent Lacroix.

11 décembre

Vincent Lacroix est déclaré coupable de 51 accusations au terme du procès pénal que lui a intenté l'AMF et se fait imposer une peine de 12 ans moins un jour. La Cour d'appel cassera ce jugement et ramènera la peine à cinq ans moins un jour parce que, selon elle, il n'était pas possible d'imposer des peines consécutives en matière pénale.

2009

18 septembre

Libération conditionnelle de Vincent Lacroix.

21 septembre

Vincent Lacroix plaide coupable à 200 chefs d'accusation de fraude, complot, fabrication de faux et blanchiment d'argent. Le 10 octobre, le juge lui inflige 13 ans de pénitencier.

28 septembre

Début du procès des cinq présumés complices de Vincent Lacroix, de Norbourg: Rémi Deschambault, Jean Cholette, Serge Beugré, Jean Renaud et Félicien Souka.

2010

26 janvier

Après quatre mois de procès, les jurés ne peuvent se mettre d'accord sur un verdict à l'encontre des cinq coaccusés de Vincent Lacroix, et évoquent la complexité de l'affaire. Un nouveau procès débutera le 7 septembre.

28 janvier

La Cour suprême du Canada refuse d'entendre l'appel de l'AMF sur la possibilité d'additionner des peines en justice pénale.

28 juin

La Cour d'appel du Québec déboute la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui voulait être exclue d'un recours collectif dans l'affaire Norbourg.

2011

Février

Début attendu d'un recours collectif intenté par les victimes de Norbourg contre Vincent Lacroix, l'AMF, le gardien de valeurs Northern Trust, le cabinet KPMG et d'autres parties.