Depuis 15 ans, Jean Bédard est le plus grand vendeur d'ailes de poulet au Québec. Mais lorsque son holding Sportscene, qui détient la Cage aux sports, a racheté InterBox en 2005, Jean Bédard a commencé une deuxième carrière: promoteur de boxe. Durant deux jours, La Presse Affaires l'a suivi dans les coulisses du combat de son champion du monde, Lucian Bute. Portrait d'un homme d'affaires passionné de sport. À moins que ce soit le contraire...

Vendredi 16 avril 2010

11h

Dans la salle de conférence du siège social de Sportscene, à Boucherville, Jean Bédard examine les nouveaux menus de la Cage aux sports pour la saison estivale. La sonnerie de son iPhone interrompt la discussion avec le responsable du marketing. Au bout du fil, l'entraîneur de Lucian Bute. «Il lui reste seulement deux livres à perdre avant la pesée», annonce Jean Bédard.

 

Deux livres de moins et la soirée la plus rentable de l'année de Jean Bédard pourra commencer. Comme promoteur du gala de boxe au Centre Bell, il devrait empocher un quart de million de dollars après avoir payé ses dépenses et les bourses des boxeurs. Comme grand patron des 49 Cages aux sports du Québec, il se réjouit du «combo» d'un match de séries du Canadien de Montréal suivi d'un combat de boxe qui générera des revenus de 750 000$, le centième du chiffre d'affaires annuel de Sportscene.

11h30

La réunion consacrée aux activités de la Cage se poursuit. Avec deux adjoints, Jean Bédard épluche les états financiers des 34 restaurants exploités par Sportscene. Une autre occasion de vérifier sa «règle des 10%»: «Il y a toujours 10% des restos qui demandent plus d'attention, qui ont des problèmes particuliers, dit Jean Bédard. Parfois, c'est un proprio nerveux qui a fait exploser ses coûts de promotion. D'autres fois, ce sont des problèmes personnels. Tu règles le problème à un endroit et il y en a un autre ailleurs.»

13h30

Après un dîner d'affaires avec Jacques Aubé, directeur général d'evenko, qui lui loue le Centre Bell pour six combats, Jean Bédard arrive de bonne heure à la pesée officielle des boxeurs à la Cage aux sports du Centre Bell. Il discute quelques minutes avec Dan Goossen, promoteur de l'adversaire de Lucian Bute, Edison Miranda. Les deux doivent manger ensemble le soir même, mais l'Américain au complet rouge vif décline l'offre de son hôte.

Jean Bédard s'enquiert ensuite des plans de son invité le plus important ce week-end à Montréal: Luis Barragan, directeur de la programmation de HBO Sports, réseau de télé no 1 dans le monde de la boxe, qui rejoint 32 millions de foyers aux États-Unis. À lui seul, le chèque de HBO - le premier tiré à l'ordre d'InterBox - représentera le quart des revenus de la soirée. Les 13 683 billets vendus au Centre Bell en rapporteront environ 40%, la télévision payante et les autres revenus, environ 35%.

Malgré le généreux chèque de HBO, la marge de profit d'InterBox ne sera pas tellement différente de celle des combats précédents de Lucian Bute. «Nos revenus sont plus importants, mais nos dépenses aussi, dit-il. Les promoteurs des adversaires avec qui nous négocions savent que nous serons diffusés sur HBO. La bourse de Lucian est aussi plus importante. De toute façon, notre objectif n'est pas de faire beaucoup d'argent avec la boxe. C'est plutôt de ne pas en perdre.»

15h30

Visite du Centre Bell. Son plan des sièges en main, le grand patron d'InterBox veut s'assurer que ceux qui ont payé le gros prix - 350$ pour un siège près du ring ou 2500$ pour une table de cinq places - n'auront pas la vue obstruée. Il s'assoit à quelques endroits stratégiques autour de l'arène. «Je suis un visuel», explique-t-il.

Jean Bédard foule ensuite les marches que descendra Lucian Bute le lendemain soir avant de monter dans le ring. Avant de prendre congé pour la soirée, le promoteur hôte demande que l'on répète une dernière fois le scénario de l'entrée en scène de son boxeur. Au son de la chanson Where the Streets Have No Name de U2, la dizaine d'employés présents cessent leurs activités. Tous les yeux dans le Centre Bell sont rivés vers l'hologramme géant du boxeur aux poings en feu. «Avec la boucane, demain, ça va frapper fort», dit Jean Bédard d'un ton satisfait.

Samedi 17 avril 2010

18h45

Après avoir engouffré son souper dans la petite salle VIP de la Cage du Centre Bell avec des amis d'enfance de Saint-Hyacinthe - parmi eux, l'animateur de radio Paul Arcand -, Jean Bédard commence à serrer des mains, son occupation principale les soirs de gala. Le grand patron d'InterBox est détendu: il n'y a pas de complications de dernière minute. «Ça fait 20 galas de boxe qu'on présente au Centre Bell, alors on commence à savoir comment faire», dit-il.

19h35

Première de ses deux visites dans le vestiaire d'InterBox. «Tu es bien reposé? Tout est correct?» demande-t-il à Lucian Bute. Son boxeur vedette jette un _il distrait au match du Canadien à la télé. «Si jamais je cherche un endroit tranquille pour regarder le match de hockey, je sais où aller», lance Bédard pour détendre l'atmosphère.

22h08

Obscurité totale au Centre Bell. Pendant que la foule se déchaîne au son des premières notes de guitare de U2, Jean Bédard attend son boxeur dans le ring. La vidéo à laquelle InterBox a tant travaillé tourne au cauchemar: l'écran du coin supérieur gauche ne s'allume pas. Il manque un sixième de l'hologramme du boxeur. «Six breakers ont sauté, dit Jean Bédard. Heureusement, l'image a été rétablie presque complètement à temps pour la télé américaine.»

Ce sera la seule fausse note du combat, qui ne durera que trois rounds. Jean Bédard assiste au knock-out entouré de deux champions du monde: à sa gauche, le skieur acrobatique Alexandre Bilodeau, commandité par la Cage aux sports. À sa droite, le boxeur Éric Lucas, ancien champion revenu dans le ring l'an dernier. C'est lui qui a initié Jean Bédard au monde de la boxe alors qu'il cherchait à devenir propriétaire d'une Cage aux sports. «Jean est un peu plus nerveux que moi durant des combats», dit Lucas, qui a été propriétaire d'InterBox en 2004 et 2005.

Après un an, Éric Lucas a tiré sa révérence comme promoteur et revendu InterBox à Sport scene. L'an dernier, InterBox a généré un demi-million des 4,4 millions de bénéfices nets de Sportscene. «C'est dur de mettre une valeur sur InterBox parce que l'entreprise n'a pas d'actifs, dit Jean Bédard. Pour nous, InterBox a davantage une valeur sur le plan marketing. Lors du lock-out de la LNH, on a réalisé qu'on était à la merci des événements sportifs.»

23h13

En conférence de presse, Jean Bédard annonce que le prochain combat de son boxeur vedette aura lieu le 24 juillet prochain en Roumanie, son pays d'origine. Aux côtés de Lucian Bute et de l'entraîneur Stéphane Larouche, Jean Bédard est distrait, au grand amusement des journalistes qui posent leurs questions. Le trio regarde la télé accrochée au plafond de la salle de presse, où on présente le deuxième combat de boxe de la soirée à HBO. Le champion du monde Kelly Pavlik, que le réseau américain aimerait bien voir affronter Bute à son prochain combat, est en difficulté. Il perdra sa ceinture - et son intérêt pour le clan Bute - quelques minutes plus tard.

Il est passé minuit et Jean Bédard est songeur. L'amateur de boxe en lui a vu un bon combat, mais le promoteur a perdu un adversaire potentiel pour son champion du monde.

 

L'imposteur

Dans le cercle fermé de la boxe professionnelle, Jean Bédard a l'air d'un imposteur. Un imposteur fier de l'être. «Je ne suis pas du tout un spécialiste de boxe», prévient le grand patron d'InterBox.

À la décharge de Jean Bédard, les promoteurs de boxe ont souvent mauvaise réputation, un legs de leur célèbre collègue Don King. Reconnu pour sa chevelure et son sens du spectacle, l'ancien promoteur de Muhammad Ali et Mike Tyson a passé quatre ans en prison pour meurtre. «Certains promoteurs sont de drôles de moineaux qui prennent beaucoup de place, dit Jean Bédard. Ça s'engueule, ça parle fort. Ce n'est pas notre style.»

Comptable de formation et restaurateur de métier, Jean Bédard incarne la nouvelle génération de promoteurs qui prend lentement mais sûrement place autour du ring. Aux États-Unis, les deux promoteurs les plus puissants sont un procureur de la Couronne formé à Harvard (Bob Arum, de Top Rank) et un banquier (Richard Schaefer, de la firme Golden Boy, qui appartient au boxeur Oscar De La Hoya). «Ce sont des gens d'affaires organisés qui comprennent que leur travail n'est pas seulement de négocier des droits télé», dit Jean Bédard.

Le style de gestion effacé de Jean Bédard plaît aussi à ses hommes de boxe. «Jean est intelligent et il sait compter, dit l'entraîneur-chef d'InterBox, Stéphane Larouche. Certains promoteurs sont très optimistes au sujet des revenus et des foules alors qu'il est plutôt prudent. Ça évite les mauvaises surprises. Mon père m'a toujours dit de faire confiance aux gens discrets qui promettent peu. Jean est exactement comme ça. Les promoteurs américains nous disent tous la même chose: «On ne vous connaît pas beaucoup, mais ne changez pas.»»

 

JEAN BÉDARD

- Président et chef de la direction de Sportscene

- Propriétaire de sa première Cage aux sports à 26 ans

- Premier dirigeant de la Cage aux sports à 31 ans

- Détenteur de 19,7% des actions de Sportscene

- Valeur boursière de Sportscene: environ 50 millions

- Valeur boursière de ses actions de Sportscene: environ 10 millions

- Promoteur de 13 combats de championnat du monde avec InterBox, dont 10 au Québec