Les banquiers ont la vie dure. Tellement que, s'ils ne gagnaient pas autant d'argent, nous aurions presque pitié d'eux!

Pour s'en convaincre, il fallait voir les journaux new-yorkais au lendemain de l'interminable comparution des dirigeants de la firme Goldman Sachs devant les sénateurs qui se penchaient sur les origines de la crise financière, à la fin du mois d'avril. Même si la finance fait vivre Manhattan, les quotidiens semblaient s'être passé le mot pour publier la photo la plus embarrassante (et la plus grande) du grand patron de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein.

 

Évidemment, personne ne versera une larme pour ce financier qui a déjà déclaré, en ne blaguant qu'à moitié, qu'il réalisait «l'oeuvre de Dieu». Mais il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que Goldman Sachs est un peu injustement ciblée.

Les autorités boursières lui reprochent d'avoir vendu à des clients une voiture aux freins défectueux tout en investissant dans un atelier de débosselage! Aux clients d'ouvrir le capot et d'inspecter la mécanique...

C'est une pratique lamentable. Mais Goldman Sachs n'est pas plus coupable que les autres banques et firmes de courtage qui se lavent les mains de toute responsabilité. S'il y a des gens qui sont assez idiots pour l'acheter, raisonnent-ils, c'est tant pis pour eux.

En fait, la virulence des critiques à l'endroit des banquiers est inversement proportionnelle à la cote de popularité des politiciens. C'est au moment où la réforme de la santé le plombait dans les sondages, en janvier, que le président Barack Obama a annoncé une taxe sur les grandes institutions financières pour rembourser les contribuables qui les ont renflouées. Ainsi, il n'a jamais été question d'une taxe semblable pour les constructeurs automobiles, qui sont pourtant beaucoup moins prompts à rembourser le gouvernement.

Même scénario au Royaume-Uni. Non content d'introduire une taxe temporaire sur les primes des banquiers, l'ex- gouvernement de Gordon Brown a même songé à taxer les transactions financières. Il a ainsi épousé la controversée proposition de l'économiste James Tobin qui remonte aux années 70. Or, si la taxe Tobin couperait court à toute forme de spéculation, elle est irréalisable, à moins que tous les pays ne s'entendent pour l'appliquer. C'est hautement douteux puisqu'il y aura toujours un pays qui sera tenté de briser les rangs.

À l'inverse, le ministre des Finances du Canada, Jim Flaherty, ne veut rien entendre d'une taxe qui pénaliserait les banques canadiennes, les premières de classe - ce qui en dit long sur la division et la faiblesse des partis de l'opposition à Ottawa.

Au-delà des discours qui sont de plus en plus vindicatifs lorsque les échéances électorales approchent, il faut voir que, pour qu'une réforme financière se tienne, celle-ci doit susciter une large adhésion. Sinon, il arrivera ce qui se passe à Londres, où des fonds spéculatifs quittent la City pour la Suisse.

C'est le défi colossal qui attend les pays du G20 à Toronto à la fin du mois de juin.

Or, les positions du Canada et de la Commission européenne, qui appuie la création d'une taxe sur les banques comme une forme de police d'assurance pour des sauvetages futurs, sont encore très éloignées.

Il ne faut pas laisser ces divisions occulter l'urgence de réformer la réglementation du secteur financier. Comme l'a fait remarquer le sénateur démocrate Christopher Dodd, cela fait 17 mois qu'on s'est fait cambrioler et on n'a même pas encore changé les serrures de la maison!

Il y a des choses sur lesquelles les pays peuvent s'entendre pour consolider le système financier. Hausser les réserves des institutions financières pour réduire l'effet de levier et la prise de risques. Standardiser autant que possible les produits dérivés et les négocier sur un marché secondaire structuré, une transparence qui, soit dit en passant, limitera les marges bénéficiaires des firmes. Etc.

Les banquiers n'ont pas besoin d'être réprimandés en public. Ils ont besoin de règles claires et strictes pour que leur soif insatiable de profits ne compromette plus le système financier. Bref, il faut japper moins et mordre plus.