Homme d'affaires hyperactif, Richard Branson a lancé 250 entreprises au cours des 40 dernières années. Entre Virgin Cola et Virgin Galactics, la même idée relie toutes ses aventures: le plaisir... épicé d'un peu de rêve. Éternel casse-cou, play-boy milliardaire, le patron de Virgin incarne mieux que quiconque sa propre marque.

«Comment vous appelez-vous, déjà?»

Au bout du fil, le type de Boeing se demande qui peut bien lui téléphoner pour savoir «combien ça coûte, louer un avion pendant un an...»

C'est Richard Branson lui-même qui raconte l'anecdote. En 1984, le jeune propriétaire de Virgin Records, exaspéré par «l'horrible expérience, la mauvaise bouffe et les prix astronomiques» pratiqués par les transporteurs aériens, posait les premiers jalons de ce qui deviendrait Virgin Atlantic Airways, un colosse présent sur cinq continents.

Virgin Records était alors une compagnie de disques populaire qui avait su capitaliser sur son premier succès – l'album Tubular Bells, de Mike Oldfield – mais le saut dans le domaine du transport aérien était tout sauf évident.

«J'ai eu beaucoup de difficulté à convaincre les banquiers et les analystes financiers que c'était une bonne idée», raconte aujourd'hui celui dont Forbes évalue la fortune à 2,5 milliards$US.

«Mais j'étais sûr qu'on pouvait transposer le nom, la culture et les valeurs de Virgin à un autre secteur d'affaires. Et par ailleurs, je me disais que ce serait sûrement plaisant...»

Au cours des 40 dernières années, ce décrocheur issu d'une famille d'avocats britanniques a lancé près de 250 entreprises, de la vente de cola aux voyages dans l'espace, en passant par la téléphonie mobile, les banques, les énergies renouvelables et même une équipe de Formule 1.

Dyslexique, de son propre aveu peu doué pour les chiffres – «avant 50 ans, je ne savais pas la différence entre les marges nettes et brutes» – Richard Branson a misé gros dans l'aventure Virgin Atlantic. La vente de son empire du disque à EMI pour 1 milliard$US, en 1992, servira d'ailleurs à renflouer le transporteur aérien alors en opération depuis seulement huit ans.

Victime de la dernière récession, la société aérienne traverse une nouvelle zone de turbulence. Elle a supprimé 600 emplois en 2009 et interrompu 10% de ses liaisons au cours de l'hiver.

Évidemment, fidèle à son image d'éternel insoumis, Richard Branson affirme que le jeu en valait la chandelle.

«Lorsque nous étudions des occasions d'affaires, dit Sir Richard, anobli par la reine en 1999, nous nous demandons toujours si nous aurons la chance de brasser la cage d'une industrie, de changer les façons de faire, et surtout d'avoir du plaisir en cours de route.

«Se demander en premier lieu combien on peut faire d'argent en lançant un business, c'est aborder la question du mauvais côté. Il faut que ça vienne du coeur. On trouvera bien une façon de payer les factures ensuite.»

Qu'il tente de traverser l'Atlantique en montgolfière ou un record de la Manche en véhicule amphibie, l'ex-producteur des Rolling Stones semble appliquer la même logique à sa vie privée.

Son dernier coup de coeur? Le kitesurf, un sport cousin de la planche à voile où l'on utilise une planche et un immense cerf-volant pour glisser sur les eaux.

«J'ai commencé il y a sept ou huit ans, alors que le kitesurf en était encore à ses premiers pas... et pour être honnête, plutôt dangereux, dit celui qui fêtera ses 60 ans en juillet. C'est maintenant le sport que je préfère à tout autre.»

Le patron de Virgin vient justement d'organiser dans son domaine des îles Vierges Britanniques une compétition internationale de kitesurf, le BVI Kitejam. «L'idée est née après un trip de kitesurf là-bas avec Larry Page, fondateur de Google, explique-t-il. On s'est dit que ce serait amusant d'en faire un événement annuel.»

Sir Richard s'est aussi prêté récemment à une séance photo dans laquelle on l'aperçoit en kitesurf, la top modèle Denni Parkinson, nue, accrochée à son dos. Totalement improvisé – selon la légende entretenue par Richard Branson lui-même – le cliché s'est avéré un succès immédiat dans les forums internet dédiés au kitesurf du monde entier.

Mais les apparitions médiatiques du patron de Virgin ne sont pas toutes aussi spontanées.

L'an dernier, lors du lancement d'une station Virgin Radio à Ottawa, Richard Branson s'est livré à quelques lancers frappés contre le gardien des Sénateurs, Ron Tugnutt, sur le gazon synthétique du Colisée d'Ottawa.

En 2005 à Montréal, c'est déguisé en commando qu'il a glissé du plafond pour secourir une Caroline Néron en détresse. L'occasion? L'arrivée de Virgin Mobile au Canada.

Richard Branson reconnaît que son image d'aventurier, d'éternel ado, et celle du groupe Virgin sont étroitement liées.

«Ce qui distingue la marque Virgin des autres, de British Airways par exemple, c'est que nous sommes une marque d'aventure, dit-il. Le fait que j'aie tenté de longues traversées en ballon ou en sous-marin ajoute en ce sens à la marque Virgin.»

Or, dans son désir d'apparaître à la tête d'une entreprise jeune et iconoclaste, Sir Richard dépasse parfois les bornes.

Lorsque Virgin Mobile a lancé son service sans fil au Canada en 2005, l'utilisation de nurses exagérément sexy dans ses publicités avait incité l'Association des infirmières de l'Ontario à demander un boycottage de la marque.

La même année, une publicité un peu trop osée pour la même société a mis un terme à la relation d'affaires entre Virgin et les cinémas Famous Players.

Reste que bien des entreprises sont prêtes à investir de grosses sommes pour être associées à cette marque.

L'an passé, Bell a versé 142 millions$CAN pour la part de 50% qui lui manquait de Virgin Mobile Canada et ses 700 000 abonnés, tout en maintenant une entente de marketing à long terme.

«La marque est tellement forte que nous n'avons aucune intention de nous en dissocier», a confié à La Presse Affaires un membre de la haute direction de Bell.

Astral Media exploite maintenant quatre stations radio à l'enseigne Virgin au Canada. L'entreprise reconnaît que depuis que sa station de Montréal (anciennement Mix 96) est associée à la marque Virgin, l'audience est en forte hausse.

«Quelle marque aujourd'hui incarne la démesure, le rêve?» analyse Gaétan Namouric, directeur de création de l'agence Bleu-Blanc-Rouge et fan avoué du cas Branson. Personne, dans le milieu des affaires, n'est capable de nous parler de l'avenir... au-delà du deuxième semestre de 2010.

«Il y a très peu de gens qui ont la capacité de nous indiquer une direction. De nous faire espérer et nous rappeler, au fond, qu'on est toujours vivants. Or le boulot de Richard Branson, c'est exactement ça.»

Alors qu'il s'apprête à diriger le premier transporteur spatial commercial avec Virgin Galactics – la piste de décollage est en construction au Nouveau-Mexique –, Sir Richard espère encore raisonner comme un gamin de 15 ans, l'âge auquel il a quitté les bancs d'école.

«Si on croit avoir une bonne idée, il ne faut pas trop y réfléchir et foncer, dit-il. Quand on y pense, il ne peut rien nous arriver de bien grave si on échoue.»

Qu'a-t-on à perdre, au fond, à prendre le téléphone et demander combien ça coûte, louer un avion de ligne?

«Et de quelle compagnie êtes-vous?» a enchaîné le type de Boeing.

— Virgin Records...

Long silence au bout du fil. «Hmm... Des actifs?»

— On a sous contrat des artistes fantastiques! Vous connaissez les Sex Pistols?

Virgin Atlantic

Bientôt des vols au Canada?

«La toute prochaine tâche de Virgin Atlantic sera de voler jusqu'à Vancouver», assure le patron Richard Branson.

«Nous espérons proposer un vol à Vancouver au cours des 12 prochains mois... et peut-être ailleurs au pays éventuellement.»

Virgin Atlantic caresse le projet d'offrir des vols au Canada depuis 10 ans... et l'a réalisé durant trois mois, tout juste avant les attentats du 11 septembre.

«Nous avons perdu des centaines de millions en seulement quatre semaines, ajoute Richard Branson. C'est devenu une question de survie et afin de survivre, nous devions supprimer des liaisons.»

Le Canada a donc écopé, mais l'espoir d'y revenir est toujours présent.

«Un des problèmes du Canada, c'est qu'il s'agit d'une bonne route pour le transport d'été, mais pas pour l'hiver.

«Je constate toutefois que Vancouver est en train de devenir une destination intéressante 12 mois par année.»

EN BREF

RICHARD BRANSON

Né le 18 juillet 1950 à Shamley Green (Grande-Bretagne)

Fonde le premier magasin de disques Virgin en 1971

Lance Virgin Atlantic Airways en 1984

Producteur des Rolling Stones, Sex Pistols, Culture Club, Janet Jackson, etc.

Vend Virgin Music à EMI en 1992 pour 1 milliard$US

Inaugure sa première station radio en 1993 et Virgin Mobile en 1999

Anobli par la reine d'Angleterre en 1999

Vedette de sa propre émission télé sur le réseau Fox en 2004: The Rebel Billionaire: Branson's Quest for the Best

Le premier vol habité de Virgin Galactic dans l'espace est prévu en 2013

Fortune personnelle estimée à 2,5 milliards$US

VIRGIN

Siège social: The School House, Londres

Conglomérat composé de 200 sociétés, à capital ouvert ou fermé, détenues à divers degrés par Richard Branson lui-même

50 000 employés

Présent dans 30 pays

Revenus en 2008 (derniers chiffres disponibles): 17,6 milliards$US

Virgin Media est la seule entité du groupe inscrite en Bourse en Amérique du Nord: VMED (NASDAQ)