Moins visible que les constructeurs automobiles, dont elle dépend, l'industrie de la pub a aussi connu son annus horribilis en 2009. Pour la première fois depuis que des statistiques sont compilées, les dépenses publicitaires mondiales ont chuté; de 10,2% selon ZenithOptimedia, une agence de placement publicitaire de Londres.

Or, l'industrie, qui est typiquement à la traîne de la reprise, ne se rétablira pas cette année. En hausse d'un petit 0,9%, les dépenses publicitaires feront du surplace à près de 448 milliards$US, alors qu'elles continueront de chuter dans les marchés les plus affectés, au premier chef les États-Unis.

La récession a bouleversé les grandes agences, qui devaient déjà composer avec la mutation des médias traditionnels. Ces sociétés s'adaptent en achetant toutes les agences de publicité numérique qui bougent. Mais cette consolidation tire à sa fin, juge Bob Seelert, président du conseil de l'agence Saatchi&Saatchi.

Cet Américain a justement piloté la vente de cette vénérable agence londonienne (rappelez-vous les spots publicitaires de British Airways) au Publicis Groupe en 2000.

Après avoir fait carrière dans l'agroalimentaire, dont 23 ans chez General Foods, Bob Seelert a prit la direction de Saatchi en 1995, alors que l'agence traversait une crise. Le conseil d'administration venait d'orchestrer un putsch pour tasser les deux frères fondateurs, et Saatchi risquait de voir partir ses meilleurs créateurs.

Jusqu'en 2006, Bob Seelert est resté au conseil de surveillance de Publicis, quatrième groupe mondial derrière WPP, Omnicon et Interpublic. La Presse Affaires l'a récemment rencontré alors qu'il prononçait, devant des étudiants en gestion de l'Université McGill, une conférence inspirée de son récent livre, Start with the Answer – and Other Wisdom for Aspiring Leaders.

Comment s'annonce 2010?

La situation chez Saatchi ne s'annonce ni meilleure ni pire que celle de l'industrie. Ben Bernanke (président de la Réserve fédérale) a beau dire que la récession est finie, nous n'avons pas l'impression que la reprise est très forte lorsque nous discutons avec nos clients. L'an dernier, nous avons été contraints de remercier des professionnels (200 sur un effectif mondial de 5000). Mais, nous en avons un peu marre de subir. Cette année, nous allons contre-attaquer. Nous ne comptons pas être les derniers sortis de la récession, aussi nous allons au-devant de nos clients et leur soumettons des propositions pour faire fructifier leurs affaires.

Il a été dit que certaines agences ont réduit leurs marges de profit pour conserver leurs clients ou gagner des mandats. L'industrie vit-elle une guerre de prix?

Je ne parlerais pas d'une guerre de prix, mais c'est vrai qu'il y a un nombre incalculable de discussions entre les agences et leurs clients qui essaient de réduire leurs dépenses. C'est surtout le cas lorsque les comptables s'en mêlent... C'est dommage parce que les mandats publicitaires sont des relations stratégiques, et non des matières premières sans valeur ajoutée. Mais, nous ne céderons pas à cette soi-disant «guerre de prix», pas plus que nous n'accepterons de vendre nos services en-deça de leur valeur.

Le Wall Street Journal rapportait qu'avec la mise en vente de l'agence iCrossing, en décembre, les transactions de fusions sont de retour sur Madison Avenue. Qu'en pensez-vous?

Je pense que l'essentiel de la consolidation est derrière nous. Publicis vient d'acheter Razorfish et, avant cela, Digitas. Il n'y a plus beaucoup de grandes boîtes à acquérir. Les grandes agences parapluie ont acquis beaucoup de spécialistes de la pub interactive. Celles qui restent sont condamnées à être avalées par les grandes. Il fut un temps où ces agences étaient à «l'avant-garde», mais dorénavant, toutes les campagnes de communication seront numériques. Les agences de pub interactive qui cherchent à rester indépendantes vont perdre du terrain. Ce sont les grandes agences qui ont les relations avec les clients. À la fin, il restera uniquement les grandes et les petites firmes locales. Je ne vois pas beaucoup d'avenir pour les agences de taille moyenne ou les agences dites numériques.

Le fait que les agences traditionnelles aient acquis l'expérience qui leur faisait défaut, est-ce que cela ne trahit pas leur difficulté à s'adapter à un monde de communication numérique et mobile?

C'est tout un défi que de s'ajuster. D'une certaine manière, les gens qui excellent dans un domaine ne sont pas nécessairement les meilleurs dans un autre. Nous avons des créatifs extraordinaires, mais qui ont passé toute leur vie à rédiger des messages pour l'imprimé. Ce ne sont pas ces gens qui nous aideront à remporter la prochaine bataille en communication numérique. Nous devons aller chercher une nouvelle génération de créatifs qui sont à la fine pointe de la technologie.

Jusqu'ici, les annonceurs ont eu beaucoup de mal à percer les réseaux sociaux. Croyez-vous qu'ils y parviendront, et si oui, comment?

Je ne pense pas que les annonceurs puissent y aller directement, d'une façon franche. Pour y arriver, ils devront créer des publicités qui sont si épatantes que les gens voudront les revoir et les partager avec leurs amis. C'est ainsi que ces publicités seront disséminées dans les réseaux sociaux.

Avez-vous un exemple?

Il y a un an, le détaillant J.C. Penney était venu nous voir pour que nous lui préparions une campagne publicitaire dans les journaux pour sa bijouterie à l'approche des Fêtes. Nous lui avons demandé s'il était prêt à essayer autre chose. L'annonce internet de près de cinq minutes, où un homme est envoyé dans l'enfer des conjoints nuls pour avoir acheté un aspirateur à sa femme en cadeau («Beware of the Doghouse»), a fait un tabac sur YouTube. C'est ce genre de chose qu'il faut faire.

Même si le marché des appareils sans fil explose, du téléphone au futur iPad, la publicité mobile, qui se résume trop souvent à une petite banderole dans le coin d'une page web, a encore du mal à décoller. Pourquoi?

Ce n'est pas faute d'essayer. Nous pensons que, en cette ère des «screenagers» (NDLR: ados scotchés aux écrans de leurs sans-fil), l'industrie devra trouver le moyen de développer des annonces qui réussissent à faire passer des messages significatifs sur de petits écrans. Le mot d'ordre de la boîte est «sisomo» pour sights, sound, motion (image, son et mouvement).

Quelle est la difficulté?

Les écrans sont petits et vous n'avez vraiment pas beaucoup de temps pour communiquer votre message. Il faut que ce soit assez accrocheur pour que les utilisateurs de ces appareils aient envie de voir ces annonces et non pas qu'elles soient perçues comme du spam.

Des agences se plaignent de plus en plus de la part de marché écrasante de Google dans le marché de la recherche sur internet. Pensez-vous que cette domination soit néfaste aux annonceurs?

La compétition est toujours une bonne chose, mais cela ne m'inquiète pas trop. Je veux être capable d'atteindre le consommateur là où il est, de la façon la plus pertinente et la plus efficace possible. Si cela passe par Google, et bien, qu'il en soit ainsi.

Que pensez-vous de la décision de Pepsi de se retirer comme annonceur du Super Bowl pour la première fois en 23 ans? Pensez-vous que de consacrer cet argent à des oeuvres caritatives choisies par les consommateurs rapportera à l'entreprise?

Franchement, cette décision m'a renversé. Le Super Bowl a toujours servi de tremplin à leur nouvelle campagne de communication. Est-ce que c'est une bonne décision? On verra bien, mais je suis sceptique.

Le scandale qui a entouré les liaisons clandestines de Tiger Woods mettra-t-il fin aux publicités endossées par des célébrités?

Beaucoup d'annonceurs semblent croire que ce type de publicité est très payant. Mais tout ce qui est très payant est généralement très risqué. Comme les hommes sont de simples mortels, songez à Tiger Woods, à Kobe Bryant et j'en passe, les entreprises devraient y penser à deux fois. Je n'ai jamais été un grand fan de ce type de publicité, qui n'a rien à voir avec le produit. Nous voulons que notre produit soit la vedette, pas monsieur Smith.