La justice criminelle au Québec a-t-elle les compétences suffisantes pour mener à terme des procès très complexes de fraude, comme celle des fonds Norbourg?

C'est la question très sérieuse posée par des observateurs financiers et judiciaires après l'avortement, hier à Montréal, du procès des cinq complices présumés de Vincent Lacroix dans l'affaire Norbourg.

Aussi, une question troublante au point d'inciter la ministre de la Justice du Québec, Kathleen Weil, à se faire vite rassurante.

«La justice fonctionne très bien au Québec. Je n'ai pas d'inquiétude du tout par rapport à ça. Mais Norbourg, c'est un dossier complexe, je l'admets», a indiqué la ministre à l'occasion d'un point de presse improvisé, à Québec.

«Il n'y a pas de crise actuellement. Qu'un juge libère un jury (avant la fin des délibérations), ça peut arriver. Le Directeur des poursuites criminelles décidera de la suite des choses.»

La ministre Weil a aussi rappelé qu'elle travaillait avec son vis-à-vis fédéral pour «traiter ce genre de crimes plus sévèrement».

Mais du côté de l'opposition, Sylvie Roy, leader de l'ADQ à l'Assemblée nationale, a vite critiqué la conduite de l'affaire Norbourg par les diverses instances.

«Y avait-il un pilote dans l'avion? On constate encore que tout a été à l'envers dans cette affaire-là. À commencer par le procès au pénal (il y a deux ans) avant les procédures criminelles», a indiqué Mme Roy.

À l'Autorité des marchés financiers (AMF), le principal gendarme boursier et financier au Québec, on préférait hier se passer de tout commentaire.

Il faut dire que l'AMF fut prise à partie au début du procès Norbourg, en octobre dernier, au point d'inciter son président, Jean St-Gelais, à intervenir publiquement.

Cette situation embarrassante pour l'AMF découlait du témoignage de l'un de ses ex-inspecteurs voulant que son rapport critiquant Norbourg dès 2002, trois ans avant l'éclatement de la fraude, soit demeuré sans suite auprès de la direction de l'AMF.

Ce procès Norbourg devant jury cherchait à obtenir un verdict pour les 702 chefs d'accusation qui pesaient sur les cinq coaccusés, tous d'anciens dirigeants ou conseillers externes de l'ex-firme de fonds d'investissements.

«Est-ce que la tenue d'un tel procès devant jury était la bonne façon de faire? Est-ce que des gens du grand public pouvaient avoir les connaissances minimales pour s'y retrouver, et parvenir à un jugement éclairé?», a commenté Hugo Lesley, professeur en comptabilité et en détection de la fraude à HEC Montréal.

Pour sa part, Claude Béland, président du MEDAC, un groupe de défense des droits des petits actionnaires d'entreprises, doute aussi de la pertinence d'un tel procès devant jury.

«Est-ce que ce procès Norbourg et les chefs d'accusation étaient trop complexes? En tout cas, on constate que les jurés, qui sont des citoyens ordinaires, n'ont pu parvenir à un partage clair des responsabilités. Ça illustre aussi toute la complexité qui prévaut dans le secteur de la finance et du placement, et dans laquelle les citoyens ordinaires peinent à se retrouver», selon M. Béland.

«L'échec du procès Norbourg (par impasse parmi les jurés) suggère que les cas de fraude d'une telle complexité devrait peut-être avoir un procès devant un juge seul ou une instance plus spécialisée, comme c'est le cas pour certains tribunaux au niveau fédéral.»

Ex-président du Mouvement Desjardins, Claude Béland est demeuré attentif à l'affaire Norbourg depuis sa participation il y a deux ans, à Québec, à des travaux parlementaires sur les fraudes financières.

M. Béland a aussi été le coauteur d'un mémoire déposé par la Coalition pour la protection des investisseurs, qui regroupait alors des gens comme l'ex-ministre des Finances, Bernard Landry.

«Ce qui est dommage aussi avec l'avortement du procès Norbourg, c'est le gaspillage de tout ce temps et ces efforts par les divers intervenants. Et en particulier, les jurés, qui y ont passé des mois, en vain», a déploré M. Béland.

- Avec Tommy Chouinard à Québec

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Les complices présumés et coaccusés

Serge Beugré

44 ans

Fonction

Vice-président et directeur général de Norbourg

Antécédents

Ex-collègue de V. Lacroix à la Caisse de dépôt et placement. Principal stratège financier de Norbourg et directeur des affaires en Suisse, par la filiale Eurobourg. Chef présumé de l'équipe de faux documents réglementaires, surnommée le «quart de nuit « par Lacroix.

Félicien Souka

38 ans

Fonction

Informaticien-chef chez Norbourg

Antécédents

Auteur présumé de logiciels spéciaux de manipulations de données et de falsification de documents chez Norbourg. Il bénéficie d'une aide spéciale de l'État pour ses frais d'avocat.

Jean Cholette

46 ans

Fonction

Contrôleur comptable interne chez Norbourg

Antécédents

Proche de V. Lacroix qui lui avait confié la tenue des livres de Norbourg, malgré un simple diplôme de secondaire. Il bénéficie de l'aide juridique par ordre de Cour, après un refus initial. En faillite personnelle depuis août 2007 et présumé sans emploi depuis.

Jean Renaud

41 ans

Fonction

Conseiller fiscal chez Norbourg, ex-fonctionnaire au ministère des Finances du Québec

Antécédents

Ex-compagnon de classe et de sport de V. Lacroix à l'Université de Sherbrooke. Au ministère des Finances, il aurait traité des demandes de subventions de Norbourg. Il aurait profité d'un congé prolongé pour devenir conseiller et falsificateur fiscal présumé chez Norbourg.

Rémi Deschambault

58 ans

Fonction

Vérificateur comptable externe pour Norbourg

Antécédents

Il aurait falsifié les états financiers des fonds Norbourg. Auteur présumé des détournements de fonds et des transactions immobilières au bénéfice de V. Lacroix par l'entremise de la caisse populaire de La Prairie, dont il était membre du conseil.

Sources : documents juridiques, archives

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L'affaire Norbourg

5

Nombre de coaccusés

115

millions de dollars détournés

9200

Investisseurs touchés

3,7

Millions de dollars en frais d'enquête de la GRC

10,4

Millions en frais juridiques pour l'AMF en date du 1er novembre 2009

702

Chefs d'accusation

65

Témoins

30 000

Pages de preuves

12

Jours de délibérations

14

Années de prison: peine maximale encourue par les accusés

200

Chefs d'accusation contre Vincent Lacroix, auxquels il a plaidé coupable en septembre dernier, écopant d'une peine de 13 ans de réclusion.

Décembre 2011

Moment où Vincent Lacroix sera libéré s'il ne purge que le sixième de sa peine.