Cardiologue, échocardiographiste, intensiviste, entrepreneur: à 38 ans, Yanick Beaulieu porte tellement de chapeaux qu'il ne peut inscrire tous ses titres sur sa carte d'affaires. La semaine dernière, il a vendu la boîte qu'il a fondée, ICCU Imaging, au géant des simulateurs de vols, CAE. Et il veut maintenant aider la multinationale montréalaise à faire le pont entre le monde des avions... et celui des malades.

Yanick Beaulieu se penche au chevet d'une patiente intubée, saisit un appareil gros comme un rasoir électrique et le promène sur le torse de la dame qui vient de reprendre conscience. Celle-ci se remet tout juste d'une chirurgie cardiaque subie plus tôt dans la journée.

À mesure que M. Beaulieu bouge son appareil, des sections du coeur de la patiente apparaissent en noir et blanc sur un écran. Le docteur examine les images sous tous les angles et hoche la tête.

«Tout va très bien, dit-il à la patiente d'un ton rassurant. Vous m'entendez?»

Cette dernière hoche faiblement la tête, les yeux fermés.

Nous sommes dans la salle de soins intensifs de l'hôpital Sacré-Coeur, à Montréal. Avec le débit énergique d'un homme qui semble capable de penser à quatre choses en même temps sans jamais perdre le fil, le docteur vante les vertus de la machine qu'il vient d'utiliser: un appareil d'échographie portatif, qui permet de voir les organes à travers la peau.

«Ces appareils sont en train d'amener une révolution aussi importante que l'arrivée du stéthoscope il y a 200 ans», lance-t-il.

La première fois qu'il a vu l'une de ces machines, c'était il y a quelques années, à Pittsburgh, où il travaillait à sa spécialité en soins intensifs.

«La révélation, mon gars».

Yanick Beaulieu comprend instantanément le potentiel de cette technologie qui amène toute la puissance des grosses machines d'échographie dans la main des médecins, directement au chevet des patients.

«C'est comme passer des immenses ordinateurs que seulement IBM pouvait utiliser aux portables que tout le monde a aujourd'hui. Ça amène une démocratisation de l'échographie», dit-il.

De l'urgentologue qui veut vérifier rapidement si un patient souffre d'une hémorragie interne à l'infirmière qui doit trouver une veine pour faire une prise de sang, les appareils d'échographie portatifs promettent de faciliter la vie d'innombrables spécialistes de la santé, améliorant la rapidité et la précision de leurs actes et diagnostics... et diminuant les risques d'erreurs.

Le hic: à part quelques spécialistes comme les radiologistes ou les obstétriciens, peu de professionnels de la santé connaissent les techniques d'échographie qui pourraient pourtant révolutionner leur métier.

Yanick Beaulieu se met en tête de former les utilisateurs. Et pas seulement deux ou trois collègues. De l'Europe à l'Amérique, des anesthésistes aux spécialistes des soins intensifs, il veut répandre la bonne nouvelle partout.

«La technologie est allée beaucoup plus vite que la formation. Il y a un énorme goulot d'étranglement», dit-il, citant une étude selon laquelle les utilisateurs d'échographie passeront de 100 000 à 1,2 million d'ici deux ans aux États-Unis seulement.

Une mission personnelle

M. Beaulieu voit évidemment l'immense marché qui s'ouvre devant lui. Mais sa mission revêt aussi un caractère personnel. Alors qu'il n'a que 7 ans, Yanick Beaulieu apprend que son père souffre d'une malformation cardiaque. Témoin des chirurgies, du stress et des larmes qu'elles entraînent, le jeune garçon prend une décision qui orientera toute sa vie.

«Ça a été le driver qui m'a fait dire: un jour, je veux qu'on puisse dire à un ti-cul: ton père, on va s'en occuper, et on va te le ramener à la maison.»

C'est ce qui pousse Yanick Beaulieu vers la cardiologie et les soins intensifs. Sa nouvelle croisade de former les acteurs du milieu de la santé aux nouvelles technologies s'inscrit exactement dans le même esprit: contribuer à ce qu'encore plus de «ti-culs» reçoivent de bonnes nouvelles de l'hôpital.

Le docteur se met donc au travail.

Logiciels didactiques, matériel pédagogique multimédia en trois dimensions, cours de formation en ligne: Yanick Beaulieu s'associe à des graphistes et des programmeurs pour développer des outils de formation sur l'échographie à la fine pointe de la technologie.

Pour payer le développement de ses produits, il donne des cours aux médecins.

Depuis sept ans, il calcule avoir mis personnellement 11 000 heures dans l'aventure. Il a commercialisé plusieurs outils et formé plus de 3000 médecins qui propagent à leur tour les connaissances.

Le tout en continuant à faire de la cardiologie et à courir les salles de soins intensifs, des activités bien connues pour leurs vertus relaxantes.

Vous dormez, parfois, docteur Beaulieu?

«J'ai aussi eu trois enfants à travers ça, tient à ajouter le principal intéressé. Et oui, je dors – à l'occasion», lance-t-il en s'empressant de vanter le support de sa compagne.

En 2005, Yanick Beaulieu regroupe ses activités sous une entreprise: ICCU Imaging, pour Innovative Critical Care Ultrasonography, est née.

Une autre étape cruciale est franchie en 2007 lorsqu'un de ses collègues, le cardiologue Robert Amyot, lance sa propre boîte, Vimedix. Avec Yanick Beaulieu, qui fait partie des quatre actionnaires fondateurs, Robert Amyot a développé un simulateur qui permet aux médecins de s'entraîner sur des patients virtuels.

On est ici dans l'hyperréalisme. En balayant le torse d'un mannequin avec un appareil d'échographie, l'intérieur du «patient» se dévoile sur des écrans cathodiques grâce à la magie de la simulation. Le grand avantage: on peut créer virtuellement une foule de pathologies, des plus communes au plus rares, que les médecins s'exercent à diagnostiquer.

«Quand ils arrivent dans la «vraie vie», sur de vrais patients, ils sont prêts», explique M. Amyot.

Les deux complices ont combiné leurs produits pour offrir des formations complètes sur l'échographie.

«Avec Robert et Vimedix, c'est vraiment venu boucler la boucle», dit Yanick Beaulieu.

La chose a éveillé l'intérêt d'une grande entreprise montréalaise, et pas celle à laquelle on pourrait penser de prime-abord. La semaine dernière, CAE, le spécialiste des simulateurs de vols, a annoncé qu'elle achetait ICCU Imaging et Vimedix pour un montant non-dévoilé.

Le lien entre l'aviation et le monde médical? Il est simple. Voilà des années que CAE entraîne les pilotes du monde entier à affronter tempêtes virtuelles et pépins techniques dans des simulateurs question d'assurer la sécurité des passagers une fois en plein ciel.

Remplacez les pilotes par des médecins, les tempêtes aériennes par des maladies rares et le besoin de sécurité des voyageurs par celui des patients et vous avez l'idée derrière CAE Santé, une division lancée il y a un an.

«Il y a énormément de parallèles entre les deux secteurs», dit Guillaume Hervé, président de CAE Santé, qui rêve d'entraîner les médecins à établir leurs diagnostics et pratiquer leurs interventions sur des malades virtuels.

Depuis la semaine dernière, Yanick Beaulieu est ainsi devenu directeur, formation en échographie, chez CAE; son complice Robert Amyot porte quant à lui le titre de directeur, produits de simulation en ultrasons. Les deux hommes comptent désormais consacrer la moitié de leur temps chez CAE; l'autre restera dédiée à leur pratique médicale.

«Disons que je ne me vois pas aller au bureau en complet-cravate, commente Yanick Beaulieu à propos de son nouvel emploi. Mais amener le côté santé avec le côté business et le côté technologie, c'est vraiment intéressant pour moi, c'est une sorte de synergie. Mon père était homme d'affaires et j'ai toujours eu ce besoin de développer.»

Surtout quand les fruits de ce développement aident les petits garçons à recevoir de bonnes nouvelles de leur papa.

La carte d'affaires de Yanick Beaulieu

— Cardiologue

— échocardiographiste

— intensiviste

— Directeur, curriculum d'échographie de soins intensifs, Hôpital Sacré-Coeur de Montréal

— Professeur adjoint, Université de Montréal

— Directeur, Formation en échographie, CAE Santé