La région de Montréal n'est pas seule à se débattre dans la tempête qui a déferlé sur l'industrie aéronautique. Wichita, une petite ville du Kansas, abrite le siège social de la division Learjet de Bombardier, mais aussi de deux autres importants manufacturiers d'avions d'affaires, Cessna et Hawker Beechcraft. Les vents contraires qui ont soufflé sur Montréal y ont fait des ravages encore plus sévères. Mais la petite ville des plaines a une longue histoire dans le monde de l'aéronautique et entend résister une fois de plus à la tourmente.

Dans les vastes usines où résonne le bruit des outils des travailleurs inquiets, dans les salles de montre feutrées en manque de visiteurs, dans les corridors anonymes de la mairie de Wichita, une question est sur toutes les lèvres : a-t-on touché le fond ?

« Nous pensons avoir atteint le fond, mais nous n'aimons pas ce que nous voyons », affirme le président et chef de la direction de Cessna, Jack Pelton, lors d'une rencontre avec La Presse Affaires au siège social de l'entreprise, un petit bâtiment de deux étages aux abords du vaste campus de Cessna.

C'est dans cette bâtisse élégante que les clients peuvent sélectionner le type d'appareils qu'ils désirent et choisir tous les détails de l'aménagement intérieur. Harrison Ford et Morgan Freeman, entre autres, ont parcouru ces corridors feutrés. Mais les clients ont été tellement rares au cours de la dernière année que Cessna a dû effectuer 7000 mises à pied, dont plus de la moitié à Wichita. L'entreprise, une filiale de Textron, a également relégué aux oubliettes le Citation Columbus. Le nouvel appareil de 28 millions de dollars US devait être son plus gros biréacteur d'affaires et utiliser un nouveau moteur de Pratt & Whitney Canada, le PW800, qui devait être fabriqué à Mirabel. C'est le même genre de moteur qui équipera la CSeries de Bombardier.

« Nous allons plutôt nous concentrer sur nos produits existants », déclare M. Pelton.

Hawker Beechcraft sera également sélectif lorsqu'il sera question d'investissements au cours des prochains mois.

« Nous sommes chanceux, nous avons beaucoup investi dans la technologie au cours des dernières années, raconte M. Boisture à La Presse Affaires. Cela nous positionne bien. »

Hawker Beechcraft a notamment développé le Hawker 4000, un biréacteur doté d'un fuselage en matériaux composites qui vient d'entrer en compétition avec le Challenger 300 de Bombardier, assemblé à Montréal.

Hawker Beechcraft a dû effectuer 3500 mises à pied. Et les choses auraient été encore plus difficiles si l'avionneur n'avait pas été actif dans le secteur de la défense et des missions spécialisées.

Chez Bombardier Learjet, la chute a été un peu moins dramatique. Il y a eu 820 mises à pied au cours de la dernière année.

« Nous avons un porte-folio différent, nous n'avons pas d'appareils à piston ou à turbopropulseurs comme les autres avionneurs de Wichita, raconte David Coleal, vice-président et directeur général de Bombardier Learjet. Nos niveaux de production étaient également moins élevés que ceux de nos concurrents. »

Malgré la morosité ambiante, Learjet a maintenu certaines traditions : pendant que La Presse Affaires rencontrait M. Coleal au siège social, quelques jours avant Noël, des cadres bien emmitouflés bravaient le vent glacial de Wichita pour distribuer, aux portes des usines, une dinde congelée à chaque employé.

Malgré toutes ces mises à pied, Wichita n'est pas Detroit. Avec un taux de chômage de 8,8 % en octobre, la métropole du Kansas est encore bien loin du taux de 27 % pour la capitale de l'automobile.

« Lorsque l'économie va bien, Wichita a normalement un taux de chômage de 2 % », indique le maire de Wichita, Carl Brewer, lui même un travailleur de l'aéronautique.

« Nous ne sommes pas Detroit parce que nous pouvons compter sur d'autres secteurs, comme l'agriculture, le secteur médical, l'énergie et le pétrole », ajoute-t-il.

M. Brewer est présentement en congé sans solde. Une fois son mandat terminé, il entend retourner chez Spirit Aerosystems, une entreprise qui semble traverser la tempête sans perdre trop de plumes. L'entreprise, qui appartenait à Boeing avant d'être acquise par la société canadienne Onex en 2005, se spécialise dans l'aviation commerciale. Elle fabrique notamment des fuselages, des ailes et des composantes en matériaux composites pour Boeing et Airbus. Et bientôt, pour la CSeries de Bombardier.

« Nous n'avons pas eu à réduire les effectifs, mais nous avons imposé un gel d'embauches en 2008 et 2009 », déclare le président de Spirit, Jeff Turner, brièvement rencontré par La Presse Affaires après un déjeuner conférence organisé par le Wichita Aero Club, un événement réunissant les grands patrons de l'industrie aéronautique locale.

Seul M. Turner a le sourire aux lèvres pendant l'événement : alors que les conférenciers débattent gravement d'un lointain retour à la croissance (pas avant 12 ou 18 mois), le Boeing 787 effectue son premier vol dans l'État de Washington. Or, Spirit fabrique des composantes importantes du Dreamliner.

« Quant la production du 787 démarrera sérieusement, nous pourrons ajouter quelques employés... si, évidemment, le production du Boeing 777 se maintient », déclare M. Turner.

Il admet toutefois que « 100 % des analystes » s'attendent à une baisse de production des appareils à corridors uniques, comme le Boeing 737. Ce qui aurait un impact négatif sur Spirit.

« En général, l'industrie aéronautique est en retard sur les autres lorsqu'il y a ralentissement, rappelle-t-il. Elle est aussi en retard lorsqu'il y a reprise. Nous saurons ce qui va se passer, avec une clarté cristalline, dans 18 mois. »