Le jeu vidéo Assassin's Creed 2, lancé le 17 novembre, est le deuxième opus de la nouvelle franchise la plus populaire de la décennie. Le 1er décembre, le jeu Avatar sera lancé en même temps que le film du même nom, le premier du réalisateur James Cameron depuis Titanic. Dans les deux cas, les attentes sont colossales. L'automne a donc été pour le moins chargé au studio montréalais d'Ubisoft, qui a conçu les deux jeux. La Presse Affaires Magazine est allé vivre une journée au boulot avec le PDG Yannis Mallat, qui, à 35 ans, dirige le principal studio d'Ubisoft depuis trois ans déjà.

Il est né à Nantes, il a fait du travail humanitaire en Afrique en agroéconomie. Mais 10 ans après avoir obtenu son MBA de HEC, Yannis Mallat est bien installé à Montréal.

8h30

Après avoir déposé son jeune fils à la garderie, sa journée débute au bureau par un petit-déjeuner de la direction avec une dizaine d'employés, qui sont invités à poser leurs questions au président du studio. C'est un exercice mensuel auquel Yannis Mallat attache la plus grande importance.

«C'est essentiel parce que ça permet d'entendre ce qui se passe de la bouche même de ceux qui le vivent.»

Après que chacun s'est présenté, Yannis Mallat fait de même. Il termine en rappelant l'objectif d'Ubisoft: devenir numéro 1 au monde. «Si on veut y arriver, il faut se parler», lance-t-il aux employés qui l'entourent.

Les employés font part de leurs interrogations, expriment leurs impressions, leurs doutes, ce qu'ils aiment ou aiment moins de ce qui se passe dans les différents services de ce gigantesque studio, qui emploie 2000 personnes. Pour cette fois, le partage d'information à l'interne a été la principale préoccupation des employés. Yannis Mallat s'efforce de répondre à chacune des questions et d'écouter les suggestions.

9h45

Sitôt le petit-déjeuner terminé, Yannis Mallat file à travers le labyrinthe du grand édifice d'Ubisoft, une ancienne usine située au coin du boulevard Saint-Laurent et de la rue Saint-Viateur, dans le Mile End.

Dans son bureau, deux écrans télé, une panoplie de jeux vidéo et une machine à espresso. «Un café?» offre-t-il à son collègue Christophe Derennes, qui vient d'entrer dans le bureau. M. Derennes, vice-président-directeur au contenu, tient constamment M. Mallat au courant de l'avancement des différents projets. Yannis Mallat écoute, pose des questions et prend des notes dans son grand cahier.

10h15

Aussitôt que M. Derennes passe la porte, la directrice d'Ubisoft Arts numériques, Anne LeBouyonnec, entre à son tour.

«Un aspect de mon travail que je n'avais pas réalisé, c'est que je dois passer très vite d'un dossier à l'autre, note Yannis Mallat. C'est très stimulant, mais c'est aussi très exigeant.»

Mme LeBouyonnec vient montrer la première partie d'un film basé sur le jeu Assassin's Creed 2. Un des piliers de la vision de Yannis Mallat est la convergence entre le cinéma et le jeu vidéo. Elle commence à se concrétiser.

Le premier des trois épisodes du film a été lancé sur internet le 27 octobre, et les deux autres ont suivi plus tôt ce mois-ci. Tourné en juillet à Montréal, le film Assassin's Creed Lineage s'insère en complément au jeu.

Les effets visuels sont conçus par l'équipe d'Ubisoft Arts numériques en collaboration avec Hybride Technologies, une boîte des Laurentides sur laquelle Ubisoft a mis la main à l'été 2008. Hybride, notamment responsable des images des films 300 et Sin City, travaille aussi au film Avatar.

«Cette acquisition commence à porter ses fruits», se réjouit Yannis Mallat.

La vidéo commence. Yannis Mallat se penche vers l'écran de l'ordinateur portable. Un détail l'agace. «La dague, il faut qu'elle soit parfaite, dit-il en voyant le héros sortir l'arme de sa manche. Les gamers vont la passer à la loupe».

11h

Quand Yannis Mallat arrive dans la salle de conférence, la douzaine de membres de la direction d'Ubisoft Montréal l'attend pour la rencontre bihebdomadaire. Un conseil de direction très jeune, il faut le dire. À l'ordre du jour, une présentation du service des finances et les résultats d'un sondage interne sur la satisfaction des employés. L'atmosphère est détendue, marquée de quelques rires, mais la réunion progresse efficacement. On ne perd pas de temps. Les cahiers se ferment à midi.

12h

Yannis Mallat se dirige vers le bistrot Leméac, rue Laurier. «C'est ma cantine», lance-t-il.

Le président de l'agence de marketing Sid Lee, Jean-François Bouchard, y rejoint M. Mallat. Ils discutent des projets respectifs de leurs entreprises, des projets communs, mais aussi de la question de la créativité à Montréal.

«Je suis encore à découvrir Yannis, mais c'est à la fois un gars posé et réfléchi, et un gars qui a le sens du risque, nous dira M. Bouchard. Il n'hésite pas à essayer des choses inédites.»

13h55

Sur le chemin du bureau, le BlackBerry de Yannis Mallat sonne. Pierre Raymond, président d'Hybride, est au bout du fil. Il est question de la dague qui avait attiré l'attention de Yannis Mallat dans la matinée.

«Les gens d'Ubisoft, ce n'est pas une galerie facile à épater, confirme Pierre Raymond. Mais nous sommes comme ça aussi, et nos clients également. Nous faisons partie des gens qui sont impressionnés pendant quelques millisecondes de la direction que prend le produit, mais qui vont par la suite se concentrer sur ce qui va moins bien pour le régler.»

14h

La pièce dans laquelle entre Yannis Mallat est tapissée de petits cartons de toutes les couleurs, sur lesquels sont inscrites les différentes tâches à exécuter et les dates butoir.

Il s'y joint à une rencontre (project snap shot) sur un nouveau projet, encore à ses premiers balbutiements, dont la nature n'a pas été dévoilée. Sortie prévue en mars 2011. Sont présents le producteur délégué Chad Lebbos, le producteur Derek Elliott et le directeur créatif Joshua Askeira. Christophe Derennes se joint au groupe quelques minutes plus tard.

La rencontre se déroule en anglais. «Pour ce jeu, nous avons embauché un noyau d'une douzaine de nouveaux employés, qui viennent de partout dans le monde», explique M. Mallat.

Derek Elliott fait le point sur le projet. Yannis Mallat a déjà été à sa place, quand il a produit le titre qui a relancé la franchise Prince of Persia.

«Quand on doit gérer de la créativité, c'est toujours précieux d'avoir des gens qui sont passés par là, dit Pierre Raymond. Yannis connaît toute la mécanique liée à la création, l'effervescence des idées, la mise en place de conditions gagnantes.»

Yannis Mallat essaie un prototype du jeu. Il joue une quinzaine de minutes, et il est visiblement habile. Il n'avait aucune expérience professionnelle dans le domaine du jeu vidéo quand il est entré à Ubisoft, il y a 10 ans, mais il avait la passion du jeu depuis longtemps.

Il pose la manette de jeu puis demande: «What's new?» («Quoi de neuf?»)

Pour Yannis Mallat, il faut absolument quelque chose de neuf pour assurer le succès des plus gros jeux vidéo. L'innovation - un mot que nous aurons entendu souvent durant notre journée avec lui - est une clé du succès.

Si un jeu veut battre les 9 millions d'exemplaires vendus du premier jeu Assassin's Creed, le plus grand succès commercial de l'industrie québécoise du jeu, «faire la même chose ne suffit pas, dit-il. Il faut innover, établir de nouveaux standards. Et il faut que ce soit parfait.»

15h15

La grande salle où est produit le jeu Assassin's Creed 2 bourdonne d'activité. Un immense portrait du nouveau héros du jeu, le noble italien Ezio Auditore di Firenze, paraît veiller sur les quelque 200 employés qui s'affairent à mettre la touche finale au jeu, quelques semaines avant sa sortie.

«Il reste environ 2000 à 3000 bogues à régler, souligne le producteur Sébastien Puel. Ce n'est pas grand-chose», ajoute-t-il, ne cachant pas sa fierté d'avoir mené ce projet à terme.

Yannis Mallat vient jeter un coup d'oeil à l'une des bandes-annonces du jeu. Il est ravi par son esthétique, mais il a des doutes sur ce qui doit être montré ou non, question d'éviter que trop de surprises ne soient dévoilées dans l'histoire du nouveau héros du jeu. Sébastien Puel juge plutôt que ce qui est montré est nécessaire. Suit une petite discussion qui ne fera pas de vainqueur. «Il faut souvent faire un compromis entre le marketing et la production», nous dira Yannis Mallat.

Le projet Assassin's Creed 2 tire à sa fin. Yannis Mallat faisait d'ailleurs partie de l'équipe du premier opus, à titre de producteur délégué, jusqu'à ce qu'Ubisoft le nomme à la tête du studio, en 2006.

«C'est toute une barque à mener, soutient Pierre Raymond. Chaque service est une petite PME!»

Mais le grand patron d'Ubisoft, Yves Guillemot, avait de bonnes raisons de placer Yannis Mallat dans le siège du capitaine.

«Dans toutes les opérations qu'il a lancées, il a eu un succès assez important, rappelle M. Guillemot dans une entrevue à La Presse Affaires Magazine. C'est un homme très positif et actif, qui sait mener des équipes au succès avec une énergie et une capacité de travail très impressionnantes.»

16h

Yannis Mallat va maintenant faire le point sur le jeu Avatar, mis au point en parallèle avec le nouveau film de James Cameron. Mais n'entre pas qui veut dans le bunker d'Avatar. Entrées limitées, décharges à signer, réseau informatique distinct et interdiction de prendre toute image du jeu. Ce sont les strictes exigences de la 20th Century Fox, qui a développé le projet Avatar dans l'environnement le plus secret possible.

MM. Mallat et Derennes sont encore réunis en compagnie du producteur Antoine Dodens et du closer François Quidoz. Le closer est un développeur qui saute dans le projet à la toute fin, question d'amener un nouveau regard et d'aider à mener le projet à son terme.

M. Mallat essaie le jeu, déjà bien avancé. Il pose des questions. «Comment je fais pour me protéger? Est-ce que ce personnage-là va rester immobile en m'attendant?»

D'accords en désaccords, l'équipe discute des derniers problèmes à régler, des aspects à améliorer. C'est un projet important pour Ubisoft, mais aussi pour la vision de Yannis Mallat, qui disait déjà, en juin dernier, qu'Avatar allait marquer l'industrie par la relation vraiment complémentaire entre le jeu et le film.

Au E3, grand rendez-vous annuel du jeu vidéo tenu en juin à Los Angeles, James Cameron a affirmé que les équipes du film et du jeu vidéo avaient travaillé en étroite collaboration, si bien que les idées de chacune ont servi tant au film qu'au jeu.

17h

Yannis Mallat ne quitte pas souvent le bureau avant 19h. Mais il fera exception ce soir. Il doit enfiler son smoking de location et partir rapidement pour le Gala du commerce HEC, où il sera honoré en tant que l'un des neuf «audacieux» de l'année 2009. Sa vision de convergence entre cinéma et jeu vidéo commence à être reconnue.

«C'est sûr que ça fait plaisir, ça galvanise, dit-il. Ça consacre aussi les efforts faits depuis bientôt quatre ans. Mais pour obtenir un tel honneur, il faut aussi être entouré de gens costauds dans leur travail, ce qui est le cas.»

La journée, comme l'automne, a été chargée: Assassin's Creed 2 (le jeu), Assassin's Creed Lineage (le film), Avatar et les autres projets.

Les prochaines saisons de Yannis Mallat ne seront jamais vraiment tranquilles non plus. «C'est une industrie où la concurrence est très forte, dit Yves Guillemot. Rester leader dans ce métier est très difficile. Le premier défi de Yannis est de réussir à rester parmi les meilleurs.»

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