À 44 ans, Marc-André Blanchard devient le plus jeune patron d'un grand cabinet d'avocats pancanadien. Sera-t-il à la hauteur?

Vous rêvez de devenir PDG d'un grand cabinet d'avocats pancanadien? C'est possible, mais sachez qu'il y a quelques étapes à franchir avant d'obtenir le boulot. Vous devrez passer un test psychologique sur l'internet, vous déplacer à Toronto où des chasseurs de têtes vous bombarderont de questions pendant deux heures et demie, passer une entrevue de près de trois heures avec le conseil des associés du cabinet, puis repasser quelques semaines plus tard devant ce même conseil pour une dernière séance de torture. Si vous êtes encore vivant après tout cela, alors oui, peut-être que vous êtes fait pour diriger des avocats.

«C'est un exercice fastidieux mais fascinant!» dit Marc-André Blanchard, qui s'est prêté au jeu cet automne pendant plus d'un mois lors de cette course folle pour la direction du cabinet McCarthy Tétrault. Et il a gagné la bataille, puisque le conseil des associés l'a choisi, lui, pour diriger les destinées du cabinet pour les quatre prochaines années. Dix associés étaient en lutte, huit de Toronto, un de l'Ouest, et Blanchard, seul Québécois en lice.

 

Un gros défi

À 44 ans, Marc-André Blanchard devient ainsi le plus jeune dirigeant d'un grand cabinet pancanadien et l'un des rares Québécois à occuper un tel poste. Un gros défi qu'il devra relever dès janvier 2010, alors qu'il prendra officiellement les commandes d'une organisation de plus 2000 employés, dont près de 700 avocats.

S'il voulait ce poste, c'est bien sûr pour le défi et le prestige, lui qui dirigeait déjà depuis quelques années les bureaux du Québec de McCarthy. Mais c'est surtout parce qu'il estime que le timing est extraordinaire qu'il a décidé de foncer. «Notre industrie vit une période charnière, nous en sommes à la croisée des chemins», dit Blanchard, alors qu'il reçoit La Presse dans une salle de conférence du cabinet, à Montréal.

Le nouveau patron de McCarthy est convaincu que l'industrie juridique subit présentement un grand bouleversement et que la seule façon pour les grands cabinets canadiens de faire un bond en avant passe par leur internationalisation. C'est ce qu'il a aussi dit aux 11 membres du conseil des associées pour faire mousser sa candidature et qu'il a répété aux 275 associés du cabinet depuis sa nomination. Marc-André Blanchard a d'ailleurs de grandes ambitions pour son cabinet. «On veut devenir un cabinet de classe mondiale!» dit-il.

Concurrence féroce

La tâche est colossale, mais néanmoins nécessaire. Il rappelle que, depuis la grande vague de fusions et acquisitions, qui a culminé en 2007, il y a moins de grandes entreprises canadiennes à desservir que par le passé et, donc, conséquemment, moins de transactions sur le marché canadien. En même temps, la concurrence des cabinets internationaux - américains surtout - pour les transactions impliquant des entreprises canadiennes est de plus en plus forte. Un petit coup d'oeil au dernier classement des cabinets juridiques de Thomson Reuters suffit pour convaincre. Au troisième trimestre de 2009, sur les 25 cabinets d'avocats qui participent aux transactions canadiennes, 11 seulement étaient canadiens. Les autres? Huit américains, quatre britanniques et deux australiens.

Il est vrai que les cabinets canadiens se rattrapent dans les transactions internationales, et plusieurs font plutôt bien dans les classements mondiaux. Mais Blanchard est d'avis que la concurrence ira en s'accentuant pas en diminuant. «De plus en plus, nous serons comparés aux grands cabinets internationaux, dit-il. Il faut s'y préparer.»

La question des tarifs

L'autre défi qui attend les cabinets est la réaction attendue des départements juridiques des entreprises après la récession. Plusieurs croient que la crise laissera des séquelles, notamment en obligeant les avocats d'entreprise à resserrer leurs budgets. Déjà, il est de bon ton de dire que les cabinets sont trop chers et qu'ils doivent mettre au point d'autres modes de tarification pour remplacer les taux horaires. Marc-André Blanchard, lui, soutient que les cabinets doivent apprendre à faire une meilleure démonstration de ce qu'ils offrent comme services en fonction de ce qu'ils facturent.

«Même si on continue de facturer à l'heure, dit-il, il faut que l'on soit capable de démontrer à nos clients que cette heure facturée est la plus efficace et représente celle qui a le plus de valeur sur le marché.»

Facile à dire, certes, mais comment on fait ça? En communiquant mieux, en misant sur le travail d'équipe et en empruntant des méthodes de travail propres aux... ingénieurs! Oui, oui, Marc-André Blanchard croit fermement que la gestion de projets, méthode préconisée depuis si longtemps par les ingénieurs, peut être importée chez les avocats. Il est possible, par exemple, de subdiviser une transaction en plusieurs étapes et de s'assurer qu'à chacune de ces étapes on ait placé les meilleurs avocats, où qu'ils se trouvent. On aurait ainsi des équipes composées d'avocats de différents bureaux du cabinet (Montréal, Toronto, Vancouver, etc.) pour chacune des étapes. Le nouveau boss y croit tellement qu'il a même l'intention d'embaucher non pas des avocats, mais des spécialistes en gestion de projets!

Un bon «vendeur»

Pour mettre en oeuvre son plan de match, Marc-André Blanchard devra bien entendu convaincre ses collègues. Pour ça, on peut lui faire confiance. Il a déjà commencé une tournée dans tous les bureaux de McCarthy pour les rencontrer personnellement. Et ceux qui le connaissent savent qu'il possède un sens de la persuasion peu commun, peut-être, dur à dire, acquis durant ses années en politique.

Il a été durant huit ans président du parti libéral du Québec et conseille personnellement depuis quelque temps le nouveau chef libéral à Ottawa Michael Ignatieff. Jean Charest - un ami proche, dit-il - et Michael Ignatieff l'ont d'ailleurs personnellement félicité de sa nomination.

Chose certaine, son nouveau job le tient passablement occupé pour qu'il oublie quelque peu sa passion pour la politique. Sa femme s'amuse d'ailleurs à dire que le meilleur antidote pour son mari contre la politique, c'est McCarthy Tétrault!

Il n'empêche que, depuis un mois, dit-il, il n'a passé que deux nuits à la maison, toujours en déplacement d'un bureau de McCarthy à l'autre. C'est pourquoi il a dû prendre une décision déchirante, pas obligatoire, mais qui s'imposait compte tenu de son nouvel horaire: l'été prochain, il déménagera à Toronto avec sa petite famille.

«Mais je reviendrai à Montréal», assure-t-il.

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