Il n'a pas de diplôme de MBA dans son bureau. Il ne fait pas de surf ni de ski. Il est architecte. Une question s'impose: comment Colin Baden s'est-il retrouvé à la tête d'Oakley? Dans le chaos - un état d'esprit qui caractérise autant l'entreprise que son nouveau PDG.

L'attitude décontractée, un style éclaté, un certain goût (à moins que ce soit un goût certain?) du chaos. Colin Baden, 46 ans, est un original qui n'a rien à voir avec les PDG qui sortent en quantité industrielle des écoles de commerce.

Cet architecte de formation dessinait des immeubles jusqu'à ce qu'il obtienne le contrat qui changera sa vie: la maison de Jim Jannard, fondateur d'Oakley. «Jim passait les architectes les uns après les autres sans être satisfait du travail, se rappelle Colin Baden. Il m'a passé en audition durant une heure. Je lui ai dessiné un train qui passait à l'intérieur d'une pyramide et je lui ai dit: «Tiens, voilà ta maison! «»

Évidemment, Jim Jannard n'a jamais fait construire un train ou une pyramide sur sa propriété, mais le fondateur d'Oakley a été séduit par l'audace et la créativité du jeune associé dans une firme d'architectes de Seattle. Au point où Colin Baden, qui n'a jamais fini les plans de la fameuse maison du fondateur d'Oakley, s'est vu confier un autre mandat: faire les plans du siège social de l'entreprise à Orange County, en Californie. Après trois ans comme consultant, il passe à la tête du service de design d'Oakley, en 1996. Trois ans plus tard, il occupe le bureau du président, numéro deux de l'entreprise dont le chiffre frôle le milliard de dollars (996 millions US en 2008).

Quand le PDG Scott Olivet, un ancien de Nike et The Gap qui a orchestré la vente d'Oakley à la société italienne Luxottica pour 2,1 milliards US, décide de relever de nouveaux défis, Colin Baden obtient une promotion. Il est entré en fonction comme grand patron en juillet. «Je ne me formalise pas du titre, mais je ne pense pas comme un PDG», dit Colin Baden, que La Presse Affaires a rencontré à Montréal.

Colin Baden entend diriger Oakley comme il en a monté les échelons: dans le chaos. «Plus vous êtes sur des rails, plus il vous est difficile de trouver des idées originales, dit-il. Je ne veux pas changer cette structure unique qui nous permet de répondre à la question la plus importante chez Oakley: quelle est la prochaine étape? Toute la progression de l'entreprise est en fonction de cette prochaine étape. On peut travailler sur un projet et l'arrêter subitement pour nous concentrer sur une autre idée si elle a davantage de potentiel.»

Un PDG qui affectionne le chaos - voilà un spécimen unique en son genre. À sa décharge, Colin Baden n'en est pas à sa première contradiction. Il préfère la voile au surf et au ski - aussi bien dire un crime chez Oakley. Il se définit comme un artiste rationnel, ayant hérité du côté artistique de son père professeur d'art à l'Université de Victoria et du côté rationnel de son grand-père architecte.

Même s'il cultive son image d'anti-PDG, Colin Baden, qui a grandi dans l'île d'Orcas dans l'État de Washington, à deux heures de traversier de Victoria et du Canada, lance des expressions comme «clientèle ciblée», «possibilités de croissance» et «marchés émergents» au fil de la conversation.

Au fond, son plan d'affaires est probablement moins chaotique qu'il veut le laisser croire. Les lunettes de soleil sont encore le meilleur vendeur d'Oakley (50% du chiffre d'affaires au Canada), mais les vêtements, chaussures et accessoires constituent le secteur le plus prometteur (hausse des ventes d'au moins 10% en 2009). «Nous avons encore du chemin à faire avec nos vêtements, dit Colin Baden. Nous voulons produire de la qualité, mais pas des survêtements d'exercice. De toute façon, nous ne battrons pas Nike dans leur créneau.»

Entre deux séances de remue-méninges, ce père de deux ados se pince parfois dans son bureau, où sont exposées les lunettes portées par son ami Lance Armstrong au dernier Tour de France. Conclusion: il ne rêve pas, il a bel et bien un emploi de rêve. «Quand j'appelle mes amis d'université, je ne leur dis pas ce que je fais, dit Colin Baden. Ça les frustrerait encore davantage.»

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Cinq choses à savoir sur Oakley

Oakley était le nom de l'un des deux chiens du fondateur Jim Jannard. L'autre chien s'appelait Shady, qui signifie «louche» en français.

Oakley a vendu 4,5 millions de paires de lunettes de soleil l'an dernier. L'entreprise a une soixantaine de styles de lunettes différents.

Oakley a un chiffre d'affaires annuel de 996 millions US dans le monde, dont 60 millions au Canada.

Oakley a été achetée au plus fort de la mode des fusions-acquisitions en 2007 par la société italienne Luxottica pour 2,1 milliards US.

Oakley commandite 1500 athlètes partout dans le monde, dont le cycliste Lance Armstrong, la planchiste Gretchen Bleiler (planche à neige), le planchiste Shaun White (planche à roulettes et planche à neige) ainsi que les skieurs acrobatiques québécois Jennifer Heil et Alexandre Bilodeau.