Plusieurs clients d'Earl Jones recevaient les paiements d'intérêts de leurs placements en argent liquide, selon un témoignage. Et les banques ne posaient pas de question.

C'est ce qui ressort de l'interrogatoire de Debra Stewart, ex-employée du financier déchu. Le témoignage de Mme Stewart s'inscrit dans le cadre de l'enquête que mène le syndic RSM Richter pour comprendre ce qui est advenu de l'argent des clients de l'entreprise faillie. Debra Stewart a été interrogée par Neil Stein, l'avocat du syndic. Rappelons que plus de 150 clients de Earl Jones soutiennent avoir perdu 75 millions de dollars dans cette affaire.

À la demande de M. Jones, Debra Stewart se rendaient à la succursale de la Banque de Montréal, à Pointe-Claire, et y déposait des chèques avec la mention «cash». Le commis de la banque remettait alors en liquide le montant inscrit sur le chèque, explique Mme Stewart.

L'argent était versé par la Banque de Montréal, mais ces fonds provenaient du compte «Earl Jones in Trust» de la Banque Royale, telle que mentionné sur les chèques.

Entre 1995 et 2009, mais surtout durant les années 2000, Debra Stewart a endossé des chèques pour l'équivalent de 212 962$ sur lesquels il était inscrit «Cash». L'argent liquide servait à payer le salaire des trois employés, mais il était surtout utilisé pour les paiements d'intérêts des soi-disant placements des clients de Jones.

L'argent retiré pouvait être de 100 ou de 500$, mais aussi de 4500$ ou de 6100$. Les billets de banque étaient remis à M. Jones, qui s'acquittait des demandes des clients, selon ce que raconte Debra Stewart.

Quand Neil Stein lui demande pourquoi fallait-il payer les intérêts en liquide, Debra Stewart répond que «c'est la façon que Earl nous a dite, c'était comme ça pour tous les clients, pour une bonne partie des clients».

Debra Stewart a commencé à travailler à temps plein pour l'entreprise en 1999. Elle a été embauchée sur les recommandations de sa mère, qui travaillait comme commis comptable pour la Corporation Earl Jones. Debra Stewart n'avait pas une formation en comptabilité, mais en tourisme à l'université. Elle a fini par remplacer sa mère comme commis comptable au bout de quelques années, après son décès.

Durant son témoignage, Mme Stewart a répondu plutôt ouvertement aux questions, sans se contredire. Elle-même a perdu 75 000$ dans cette affaire, soit un prêt qu'elle avait fait à Earl Jones, en qui elle avait une entière confiance. Les 75 000$ venaient de l'héritage de sa mère.

Sans formulaire

Les chèques avec la mention «cash» ne portaient généralement pas d'indication sur la destination ultime des fonds. Aucun formulaire de consentement des clients n'était rempli.

Rappelons que tous les fonds des clients de M. Jones étaient amalgamés dans un seul compte, celui de la Banque Royale «Earl Jones in trust». Earl Jones utilisait ce compte pour les remises mensuelles à ses clients, mais aussi pour ses fins personnelles. Le décompte des sommes dues et versées aux clients étaient inscrit sur des registres internes de l'entreprise, explique Mme Stewart.

Selon l'ex-employée, les banques ne posaient pas de questions sur les retraits en argent liquide parce qu'elles connaissaient Earl Jones. La Banque Royale ne posait guère plus de questions sur les chèques à doubles endossements.

Il s'agit de chèques libellés au nom de clients de M. Jones, par exemple ceux venant du gouvernement, mais déposés dans le compte de la Banque Royale «Earl Jones in Trust». Pour déposer ces chèques, Earl Jones ou une de ses employés devaient simplement les endosser et les commis de banque ne posaient aucune question.

Debra Stewart raconte aussi qu'Earl Jones lui demandait parfois des chèques en blanc avec sa signature pour des besoins non spécifiés. À l'époque, elle ne se doutait pas de l'utilisation qu'en ferait M. Jones et ne posait pas de question à son patron.

Earl Jones réclamait aussi à l'occasion des traites bancaires, soit des titres quasi-liquides. Lorsque ces traites étaient de moins de 2500$, la Banque de Montréal n'exigeait pas d'inscrire à l'ordre de qui l'argent devait être versé. Certains clients réclamaient aussi ce genre de traite pour se faire rembourser leurs intérêts, dit-elle.

Debra Stewart affirme que la responsabilité des employés portait sur la tenue des registres internes des fonds de chaque client. Mme Stewart ne s'interrogeait guère sur le déséquilibre du compte «in trust».  «Earl nous disait depuis le début que le compte (in trust) comprenait une portion de fonds bloqués qu'il plaçait lui-même, que les états de compte que nous recevions correspondait à la portion liquide du compte», raconte-t-elle.

Gestion désorganisée

Quoi qu'il en soit, Mme Stewart affirme que la gestion comptable de l'entreprise était désorganisée, chaotique. Quant aux frais de gestion à être facturés aux clients, c'était «une grande confusion (a big mess)».

Vers le début juin 2008, la Banque Royale a mis de la pression sur Earl Jones pour que son compte «in trust» soit transformé en compte d'entreprise.

«Earl Jones nous a dit que la banque ne pouvait plus exploiter le compte de cette façon parce qu'il était inscrit sous un nom personnel, B. Earl Jones in trust, et la banque recevait de la pression du siège social pour le changer en compte d'entreprise», dit-elle.

Au moment du changement du compte, explique Mme Stewart, les fonds ont été transférés automatiquement dans le nouveau compte. Par la suite, Earl Jones a ouvert un nouveau compte in trust à la Banque de Montréal, à Pointe-Claire.