Sur le pont du Hawke Bay, un navire de 170 mètres de long par 27 mètres de large, la poussière de blé virevolte dans l'air frais de Churchill, au nord du Manitoba. La cale du navire est en train d'avaler 27 000 tonnes de blé. Direction : Lagos, au Nigeria, via la Baie d'Hudson et son détroit.

Le grain déversé dans le ventre du Hawke Bay déboule du vieil élévateur de 140 000 tonnes.

Du haut de l'élévateur, nous apercevons la petite collectivité de Churchill, sise sur une étroite bande de terre entre la rivière du même nom et la vaste Baie d'Hudson. Une communauté isolée, qu'on ne peut pas atteindre par la route, qui compte sur son port, certes négligé par le passé, mais qui est le seul port de mer arctique du Canada.

Même s'il ne joue pas dans la même ligue que Vancouver, Montréal, Prince Rupert ou Halifax, le petit port de Churchill est l'un des actifs importants du Canada en matière de transport maritime.

La saison est encore courte à Churchill : à peine trois ou quatre mois par année. Mais la fonte des glaces, dans les prochaines décennies, laisse entrevoir une plus grande fréquentation des routes entre Churchill et l'Europe, voire l'ouverture d'un « pont arctique » entre le Canada et la Russie (Churchill-Mourmansk).

Or le port tarde à remplir ses promesses, et la population s'impatiente. La progression du port est en dents de scie, et l'objectif d'exporter un million de tonnes de grain par année paraît encore loin.

Des citoyens blâment la société ferroviaire américaine OmniTRAX, qui a acheté le chemin de fer qui mène au port en 1997. Le gouvernement fédéral, alors en mode compressions, lui a refilé le port pour 10 $ de plus. La société de Denver, qui exploite des chemins de fer régionaux dans une dizaine d'États américains, mettait pour la première fois le pied dans le secteur maritime.

À la décharge de l'entreprise, les changements climatiques ne se font pas en ligne droite, et cela complique la gestion du port.

En 2000, le premier navire de la saison est arrivé le 11 juillet. En 2009, à la même période de l'année, la baie était encore prise dans les glaces. Le premier navire s'est pointé le 11 août, beaucoup plus tard que ne l'espérait OmniTRAX. Si bien que pour cette année, le port ne devrait pas exporter beaucoup plus que 500 000 tonnes de grain.

« La saison sera plus courte, mais elle est intense, dit toutefois Shane Hutchins, directeur adjoint du port, qui nous fait visiter les lieux. On travaille 14 heures par jour, sept jours sur sept. »

Au moment du passage de La Presse Affaires, à la fin août, l'horaire était chargé. Les deux aires de chargement principales du port étaient occupées, l'une par le Hawke Bay, l'autre par le Maha Gayatri, à destination des Pays-Bas. Un troisième navire, ancré au loin dans la baie, attendait son tour.

S'il était ouvert à l'année, le port pourrait accueillir entre 120 et 150 bateaux par année, selon les estimations de Shane Hutchins, au lieu de la quinzaine actuellement. Le Port de Montréal en accueille 3200.

Le problèmes du rail

Le port est encore presque exclusivement consacré à l'exportation du grain. En termes de temps, il est plus avantageux pour les fermiers de l'ouest du pays d'exporter leur grain par Churchill que par Thunder Bay et la Voie maritime du St-Laurent.

Le trafic est à sens unique. Le port a bien reçu quelques bateaux russes qui venaient livrer des fertilisants dans les deux dernières années. Mais cette saison, rien n'est prévu au programme.

Le port a aussi fait transiter quelques dizaines de conteneurs en 2007 et 2008, malgré l'absence d'installations optimales pour ce genre de trafic.

« Par les années passées, les quais étaient remplis de camions, de bulldozers, et d'équipement pour les mines du Nord », se rappelle Bill Drew, directeur exécutif de la Churchill Gateway Development Corporation (CGDC), un organisme public-privé voué au développement du port et du chemin de fer.

Mais en 2009, c'est plus tranquille. La récession a ralenti l'exploration minière. Le trafic d'approvisionnement des communautés du Nord, qui a déjà transité en masse par Churchill, a été en grande partie perdu au profit du port de Montréal.

« Le mouvement vers Churchill n'était pas aussi facile », concède Bill Drew. Car contrairement à Montréal, où le système ferroviaire très efficace fait la force du port, le rail est la plus grande faiblesse du port de Churchill.

Le chemin de fer de la Baie d'Hudson compte 1300 kilomètres de rail, entre The Pas, dans l'ouest du Manitoba, à Churchill, au nord-est. Assise sur un sol instable, la portion entre Thompson et Churchill est en piteux état.

Mais ce qui est aujourd'hui une faiblesse pourrait devenir un atout fondamental en connectant de façon efficace le port au centre du continent.

Les deux gouvernements et OmniTRAX ont donc convenu d'injecter 20 millions chacun, sur une période de cinq ans, pour remettre le rail à neuf.

« Ce n'est pas suffisant, mais ça va aider », dit le maire Mike Spence. Les travaux ont commencé l'an dernier, et les premiers effets ont commencé à se faire sentir cet été, 12 ans après l'arrivée d'OmniTRAX.

« Il y a beaucoup à faire »

Le directeur des opérations maritimes du port, Irvin Sawatsky, est à la barre du H.M. Wilson, le principal remorqueur du port de Churchill. Il aide le Hawke Bay à reprendre la mer.

M. Sawatsky est un inépuisable réservoir d'anecdotes et d'histoires sur le port, pour lequel il oeuvre depuis plus de 20 saisons. Depuis quelques années, il a vu de nouvelles marchandises transiter par le port, comme les pois, et a remarqué « tout ce matériel sur les quais l'an dernier pour les mines ».

Mais le port aurait toujours besoin d'un deuxième remorqueur digne de ce nom, le petit George Kydd, avec ses 600 chevaux-vapeur, ne faisant parfois pas le poids. Le troisième, le Mantaywi Sepe, était hors d'usage lors de notre passage.

Visiblement, le port a besoin de soutien pour atteindre ses ambitions. « Il n'y a pas eu beaucoup de développement depuis 15 ans », a indiqué, sceptique, un autre témoin de l'évolution du port.

OmniTRAX, dont le directeur des opérations n'a pas rappelé La Presse Affaires, n'a pas encore réussi à relancer la « porte d'entrée » qu'est Churchill. « OmniTRAX n'a tout simplement pas mis assez d'argent », a-t-on entendu au cours de notre reportage.

Shane Hutchins nous fait néanmoins remarquer quelques améliorations apportées depuis 10 ans, comme l'automatisation de la manipulation des wagons à leur arrivée au port.

Et les deux gouvernements ont récemment débloqué huit millions pour l'amélioration des installations.

Selon Bill Drew, le port ajoutera de nouvelles installations pour les entrées de vrac, notamment le fertilisant. Il est aussi question d'installations climatisées ou réfrigérées dans la perspective de rétablir les lignes d'approvisionnement du Nord.

« Il y a encore beaucoup à faire pour s'assurer que le port, un facteur majeur de la survie de la communauté, soit viable à long terme », note la présidente de la Chambre de commerce de Churchill, Rose Preteau.