Où serez-vous et que ferez-vous par un beau jour de juin en 2021?

Personne ne peut évidement répondre à cette question, à l'exception peut-être d'Hydro-Québec, qui sait déjà qu'elle sera un important exportateur d'électricité et qu'elle encaissera cette année-là des revenus de 872 millions de ses quatre centrales de la Romaine, sur la Côte-Nord, dont la construction ne sera terminée qu'en 2014.

C'est ce que la société d'État a expliqué au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement pour justifier la construction de la Romaine, un mégaprojet de 6,5 milliards de dollars.

Pour un pari, c'en est tout un. Dans le secteur de l'énergie, les prévisions à long terme sont toujours un exercice de haute voltige.

Il y a moins d'un an, le baril de pétrole atteignait un prix record de 147$US et personne n'aurait pu prédire qu'il dégringolerait à 32$US six mois plus tard. Le revirement a été si radical que plutôt que d'évoquer la fin du pétrole, certains analystes commencent à prédire la fin de la demande pour le pétrole.

C'est dans ce contexte extrêmement volatil qu'Hydro-Québec vient de remettre en marche la roue de ses investissements.

Après 10 ans de pause, la société d'État a lancé coup sur coup deux mégaprojets d'expansion, Eastmain-1-A-Sarcelle-Rupert (893 mégawatts) et la Romaine (1500 mégawatts).

En outre, le premier ministre Jean Charest vient d'annoncer qu'un autre projet de développement hydroélectrique, celui de la rivière Petit-Mécatina (1200 mégawatts), sera entrepris avant même la fin du chantier de la Romaine. D'autres projets sont à venir, a-t-il dit.

Au total jusqu'à maintenant, plus de 16 milliards seront investis pour augmenter la production d'électricité du Québec.

Des milliards de kilowattheures

Hydro prévoit que les surplus disponibles pour être vendus à l'extérieur du Québec seront de 6,6 térawattheures (ou milliards de kilowattheures) en 2012 et qu'ils augmenteront graduellement pour atteindre 15 térawattheures en 2021.

C'est beaucoup d'énergie. Hydro prévoit vendre ces 15 milliards de kilowattheures en Ontario, grâce à une nouvelle interconnexion en construction, et en Nouvelle-Angleterre, où une nouvelle ligne de transport d'électricité pourrait être construite.

Risqué? Pas tant que ça, estime Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et spécialiste en énergie. «En Ontario et dans le nord-est des États-Unis, on manque d'énergie. C'est de l'énergie propre. Il y aura des acheteurs», assure-t-il.

Il y aura des acheteurs, mais à quel prix? Chaque nouveau kilowattheure coûte environ 10 cents à Hydro, qui doit trouver des acheteurs prêts à payer ce prix.

Actuellement, ce n'est pas du tout évident. À cause de la récession qui frappe fort aux États-Unis, les prix de l'énergie sont déprimés.

Sur le marché américain, la valeur de l'électricité du Québec est liée à celles des autres formes d'énergie utilisées pour la production d'électricité, notamment le gaz naturel. Comme le pétrole, le prix du gaz naturel est tombé d'un sommet de 13$US par BTU à environ 4$ aujourd'hui.

Il est possible de trouver des analystes qui prévoient que les prix vont remonter vers de nouveaux sommets et d'autres qui croient qu'ils s'enfonceront encore.

Contrats d'exportation

Dans ce contexte de montagnes russes, Hydro-Québec pourra-t-elle signer des contrats d'exportation à long terme rentables?

Pierre-Olivier Pineau n'est pas inquiet. «À court terme, ce n'est pas évident, mais dans une optique de long terme, c'est tout à fait possible.»

L'Ontario veut désespérément de l'énergie et les États de la Nouvelle-Angleterre sont à la recherche d'énergie propre, explique-t-il. Avec les contraintes qui seront imposées tôt ou tard par les gouvernements pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, l'énergie du Québec prendra encore de la valeur, prévoit-il.

Les planètes semblent donc bien alignées pour Hydro-Québec. Mais c'était la même chose lors de la construction des centrales de la Baie James, qui ont quand même généré des surplus colossaux qu'il a fallu vendre à vil prix. Est-ce que la même chose pourrait se produire?

«Tout est possible», reconnaît le professeur. Mais pour que l'hydroélectricité du Québec ne soit plus intéressante sur les marchés, il faudrait une conjonction d'événements assez improbable.

Il faudrait selon lui que la demande en énergie baisse, que les émissions de gaz à effet de serre ne soient plus préoccupantes et que le prix du gaz naturel ne remonte pas. Hydro a toutes les chances de rapporter son pari. Mais ça coûtera cher, souligne Pierre-Olivier Pineau. «On aurait pu arriver au même résultat en économisant ces 10 à 15 térawattheures», estime-t-il.

Le plus grand risque que prend Hydro-Québec est celui du transport de cette énergie vers les marchés, souligne un ancien haut dirigeant d'Hydro-Québec.

«Construire une ligne aux États-Unis, c'est extrêmement pénible», dit-il en connaissance de cause.

Hydro vient de faire approuver par les autorités américaines le principe d'un nouveau lien entre le Québec et New Hampshire.

C'est une première étape, mais le plus difficile reste à venir.