«Notre deuil n'est pas encore fait. On vit ça au jour le jour. Ce n'est pas facile à accepter quand tu as mis 30 ans de ta vie dans la compagnie.»

Gaston Rousseau et Gilles Dufour sont le parfait exemple de la cruauté de la crise forestière. En moins d'un an, ils ont vu disparaître le capital chèrement gagné pendant 30 ans pour bâtir leur entreprise Forestier DDR, à Saint-Eugène, au Lac-Saint-Jean. Ils ont marché sur leur orgueil et leur fierté, et ils ont décidé d'arrêter la production avant de faire faillite.

Gilles Dufour, Gaston Rousseau et sa femme, Micheline Dufour, ont accepté de témoigner de leur douloureuse expérience. «Si ça peut réveiller des gens et montrer la fragilité des entrepreneurs forestiers... Il y en a plusieurs, comme nous, qui ne savent plus quoi faire pour arriver. Il faudrait se révolter et marcher dans la rue pour dénoncer les conditions dans lesquelles nous travaillons aujourd'hui», lance Micheline Dufour, qui assurait la comptabilité de l'entreprise. Elle se retrouve aujourd'hui sans emploi.

Gaston Rousseau et Gilles Dufour croisent les doigts en espérant passer à travers ces moments difficiles. «Nous avons encore des créanciers, nous avons une machine presque neuve à vendre, mais à cause de la crise, personne ne veut payer ce qu'elle vaut vraiment. On ne peut que remercier la Caisse populaire et nos fournisseurs, qui sont indulgents et qui nous donnent une chance pour éviter la faillite», affirme Gaston, qui devra retourner comme simple employé dans une autre entreprise. «Je n'ai pas le choix, ça ne sera pas facile, mais nous avons de grosses cautions à payer», mentionne-t-il, un noeud dans la gorge.

En effet, pas facile de cacher son émotion quand le travail de toute une vie s'effondre. «On ne veut pas que ça se sache au départ, on a sa fierté. On espère toujours que ça va reprendre, mais quand t'es obligé d'arrêter ton camion pour pleurer en rentrant à la maison le vendredi, tu te dis que ça ne marche plus», témoigne Gaston Rousseau.

Micheline a jonglé avec les chiffres afin d'éviter l'inévitable. «Je ne leur parlais pas trop des problèmes de liquidités, pour ne pas les inquiéter pendant la semaine. Ils avaient besoin de toute leur tête pour produire», ajoute-t-elle.

C'est justement cette performance à tout prix qui a grugé peu à peu les profits de l'entreprise. Le coup fatal : la crise forestière. La demande du bois a chuté. Les forestiers travaillent donc moins. Ils ont moins de revenus, mais les mêmes paiements pour la machinerie. «On a perdu en 5 ans tout le capital amassé en 25 ans», indique Gilles Dufour. Pourquoi? Les conditions de travail étaient devenues trop difficiles. «On n'avait plus de plaisir, on courait toujours après l'argent en priant pour que la machinerie ne brise pas, car on mangeait alors les profits de la semaine. On n'avait plus de marge de manoeuvre», illustre-t-il.

Avant de fermer les livres, l'entreprise a reçu une offre de garantie de prêt de 150 000$ d'Investissement Québec. «Les conditions étaient beaucoup trop strictes. De plus, il fallait investir la même somme. On se serait endettés davantage et on aurait été obligés de mettre nos maisons en garantie. On n'a pas pris ce risque et on ne le regrette pas», explique Gaston Rousseau.