Pour s'occuper de ses clients, un grand cabinet d'avocats pancanadien écrit l'Histoire: il embauche un comptable!

Les avocats adorent le hockey, c'est bien connu. La semaine dernière, c'est pourtant moins le limogeage de Carbo qui a retenu l'attention de la petite communauté juridique montréalaise que la nomination d'un comptable à un poste stratégique d'un grand cabinet d'avocats national.  

Bernard Bougie, CÀ de 59 ans, est en effet devenu le premier chef de la direction clientèle de Fraser Milner Casgrain (FMC). Oui oui, un comptable pour s'occuper des clients des avocats!

 

La nouvelle a tellement surpris que la directrice marketing d'un autre cabinet m'a suggéré d'en faire un article. «On est curieux, on aimerait en savoir plus», m'a-t-elle dit. Il fallait vraiment que la nouvelle détonne pour qu'un bureau conseille à un journaliste d'écrire sur un concurrent.

 

Il est vrai que le geste est novateur. Car FMC est le premier cabinet national à créer un tel poste au Canada. Oh! dans les bureaux régionaux, il y a bien quelques cadres qui s'occupent des clients, mais jamais un cabinet n'avait jusqu'ici poussé l'audace de nommer un responsable à l'échelle du pays.

 

«On cherche à renforcer notre culture du service à la clientèle», dit le président de FMC, Michel Brunet. Il explique que l'idée de créer un tel poste a germé pour la première fois en 2005. Mais ce n'est qu'en mai dernier que les associés, réunis à Tremblant, ont décidé d'aller de l'avant.

 

À vrai dire, ces temps-ci, tous les grands cabinets cherchent des façons de se positionner ou plutôt de se repositionner dans un marché déprimé. D'autant plus qu'en cette période difficile, les clients sont plus exigeants et cherchent par tous les moyens à réduire leur facture juridique.

 

Mais un comptable pour vendre des services juridiques? L'idée n'est pas si farfelue qu'elle en a l'air. Depuis une trentaine d'années, personne ne le met en doute, les grandes firmes de comptables et de vérification ont largement innové dans le domaine du développement des affaires, en tout cas bien plus que les cabinets d'avocats, plutôt conservateurs, voire inertes en comparaison.

 

Plus dynamiques, davantage proactifs que les avocats, les comptables ont pris de l'avance en matière de développement de la clientèle. À un point tel que leurs firmes se sont même introduites dans des champs de compétence qui jadis appartenaient exclusivement aux avocats.

 

À titre d'exemple, la fiscalité, un domaine ultrapayant pour les consultants. «Il y a 25 ans, c'était un domaine réservé aux avocats, dit Michel Brunet. Aujourd'hui, tous les cabinets de comptables en font.»

 

En fait, les comptables sont tellement bons pour recruter des clients -en fiscalité notamment- qu'ils n'ont pas le temps d'effectuer le boulot fiscal eux-mêmes: ils embauchent des avocats pour le faire! Ainsi, leurs départements de fiscalité sont surtout composés d'avocats et de notaires.

 

Une question de culture

Bernard Bougie connaît bien cette dynamique. Avant de prendre une semi-retraite comme consultant à son compte, il y a cinq ans, il avait passé 31 ans dans diverses fonctions chez Samson Belair Deloitte & Touche. Il explique que la grande différence entre avocats et comptables dans leur approche clientèle tient à l'effet de levier.

 

Chez les comptables, dit-il, on compte un ratio de dix professionnels pour un associé, alors que ce ratio est de un professionnel pour un associé chez les avocats. Les associés-comptables ont donc plus de temps à consacrer aux tâches administratives et au développement des affaires, alors que les associés-avocats sont plus dans la cuisine.

 

L'autre facteur est culturel. Depuis de nombreuses années, les comptables ont pris l'habitude de partager information et clients entre eux, chose encore difficilement imaginable chez les avocats, tellement beaucoup se sentent mal à l'aise à l'idée de partager un client avec un collègue.

 

Cette différence de mentalité tient à la force du réseau international des comptables, qui découle naturellement de la consolidation de cette industrie. Il n'y a que quatre grands cabinets de comptables internationaux -Ernst & Young, Deloitte, PricewaterhouseCoopers, KPMG-, alors qu'on retrouve des centaines, voire des milliers de cabinets d'avocats, dans chaque pays.

 

«Les comptables travaillent mieux avec leurs collègues des autres bureaux et avec des équipes pluridisciplinaires», dit Bernard Bougie, qui a l'intention d'adapter cette culture propre aux comptables chez FMC.

 

Depuis son arrivée, il y a trois semaines, la nouvelle recrue de FMC n'a d'ailleurs que le mot client à la bouche. «C'est mon focus, mon unique préoccupation», dit-il.

 

Ça tombe bien, car son mandat principal sera justement de coordonner et de superviser les équipes clients du cabinet. Chez FMC, plusieurs associés et avocats sont regroupés dans des équipes dédiées à des clients spécifiques, de grandes entreprises pour la plupart. Ce sont elles qu'on appelle équipes clients ou groupes clients.

 

Chaque équipe est composée de 10 à 30 avocats, aux champs de pratique variés et en provenance des différents bureaux du cabinet. Ensemble, ils se réunissent, échangent idées et informations, préparent le plan de développement et le budget en fonction de ce client, le but ultime étant, bien entendu, d'augmenter le volume d'affaires avec ce client, le nombre d'heures facturables pour être plus précis.

 

Auparavant, les chefs d'équipe se rapportaient à la haute direction du cabinet. Désormais, ils devront le faire auprès de Bernard Bougie. Il leur servira de coach, en quelque sorte, et il s'assurera auprès d'eux qu'ils comprennent bien les besoins de leurs clients.

 

Depuis qu'il est en poste, d'ailleurs, Bernard Bougie s'est promené entre les bureaux de Montréal, d'Ottawa et de Toronto et a réalisé une trentaine d'entrevues avec des associés, histoire de tâter le pouls. Mais pas question pour lui de rencontrer les clients pour le moment.

 

«Pas avant six mois», dit-il. Car chez FMC, les clients sont encore la chasse gardée des avocats...

 

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René Lewandowski

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