L'évaporation de 130 000 emplois au Canada en janvier a toutes les chances de frapper l'imaginaire des Canadiens, qui, jusqu'à tout récemment, s'estimaient encore épargnés par le ralentissement économique mondial.

Ces statistiques ne sont certes pas encourageantes, mais elles ne disent pas tout sur la gestion des entreprises canadiennes dans cette récession.

 

Les résultats d'un sondage dévoilé cette semaine par la firme se services professionnels Towers Perrin montre que les entreprises canadiennes ne sont pas si promptes à réduire massivement leur main-d'oeuvre, que ce soit par des mises à pied (temporaires) ou des licenciements (permanents).

Des 246 entreprises interrogées en janvier pour le compte de Towers Perrin, seulement 7% avaient procédé à d'importants licenciements, et moins de 20% envisageaient recourir à cette option. Bien des entreprises du pays entendent plutôt recourir à des mesures moins draconiennes, comme la réduction de la semaine de travail ou la révision du salaire des dirigeants.

Luc Deshaies, avocat et responsable national du groupe de droit du travail au cabinet Gowlings, constate aussi une nouvelle attitude des entreprises.

«On a vécu des moments difficiles au début des années 90, et les employeurs étaient plus prompts à faire des licenciements, dit M. Deshaies. Maintenant, les employeurs constatent que le recrutement n'est pas toujours simple et ils tentent de trouver d'autres solutions que la réduction de personnel.»

Mais ça non plus, ce n'est pas si simple. «C'est une tâche délicate que de maintenir l'équilibre entre l'obligation de réduire les coûts à court terme et la nécessité de conserver les talents de l'entreprise, qui lui permettront de se redresser et de bâtir sa santé financière à long terme», note Claude Boulanger, sociétaire de Towers Perrin.

Sept entreprises, sept récessions

La récession met à l'épreuve les stratégies des entreprises. Dans ce contexte, elles semblent toutefois pragmatiques. «Les gens sont inquiets mais ne sont pas alarmistes», dit Luc Deshaies, qui est en relation avec plusieurs entreprises dans le cadre de son travail.

Chaque entreprise a toutefois sa récession bien à elle et réagit différemment. Certaines sont actives dans des secteurs relativement épargnés par la récession, pendant que d'autres ne peuvent éviter les mises à pied.

La Presse Affaires est allée à la rencontre de sept dirigeants pour savoir comment leur entreprise vit la récession et ce qu'ils font pour y faire face.

Ce ne sont pas n'importe quelles entreprises. Ce sont les sept nouvelles lauréates québécoises du concours des 50 entreprises les mieux gérées au Canada. Évaluées notamment sur leur performance financière et leur plan stratégique (et les actions qui en découlent), elles avaient l'avantage d'être bien en selle au début de la récession.

GDI (Groupe Distinction)

Employés: 9500

Activité: Services d'entretien d'immeubles commerciaux

Ville: Lachine

Selon Claude Bigras, président, chef de la direction et principal actionnaire de GDI, la proximité avec le client, la rigueur de la gestion et la communication de l'information sont trois éléments clés du succès de l'entreprise. En pleine croissance, GDI n'a pas connu d'année négative sur le plan de l'emploi depuis 15 ans, soutient son président.

Outre les plans d'expansion qui sont mis en veilleuse, le plus grand risque de l'entreprise en cette période de ralentissement économique est relié au crédit des clients. «Il faut être plus prudent dans nos choix, dit M. Bigras. Il faut parfois démontrer de la flexibilité par rapport à la situation de nos clients, et d'autres fois avoir une politique de crédit un peu plus ferme.»

Miralis

Employés: 225 en période de pointe

Activité: Armoires de cuisine sur mesure

Ville: Saint-Anaclet

Dans les 11 dernières années, l'entreprise a connu une croissance moyenne de 29%, indique Jean-Paul Lauzier, président-directeur général de Miralis. Malgré la baisse des marchés, particulièrement en Floride, où les affaires ont été particulièrement bonnes de 2002 à 2007, Miralis a connu une croissance de 12% en 2008.

«Des crises, j'en ai vues, dit Jean-Paul Lauzier. Une entreprise se doit de garder un coussin financier pour le prochain ralentissement économique.» Sa recette pour les temps durs: augmenter sa présence dans ses marchés, en ouvrir de nouveaux, innover dans les procédés et les produits. Mais au même titre que le ralentissement économique, le manque de main-d'oeuvre représente aussi un frein à la croissance de l'entreprise établie près de Rimouski.

Industries Canatal

Employés: 300

Activité: Structures d'acier

Ville: Thetford Mines

Ralph Poulin a fondé Canatal en 1990 et préside l'entreprise depuis. Selon lui, le bon personnel est la clé du succès. «J'ai un personnel dévoué, avec une volonté de s'améliorer», dit-il. L'entreprise a connu une croissance de 15% dans les dernières années, mais la bonne séquence devrait se terminer cette année.

Avec plus de 90% de ses exportations vers les États-Unis, Canatal est mise au défi par la récession américaine. «Le marché est en recul de 35%, dit Ralph Poulin. Mais nous avons un bon carnet de commandes qu'on a réussi à garder bien garni. La réputation est y pour beaucoup. Pour les Américains, c'est très important, ils prennent beaucoup de références.» Réaliste, M. Poulin sait que les 18 prochains mois seront difficiles pour tout le monde, mais il ne prévoit pas de mises à pied dans le prochain semestre. En attendant, «on essaie d'être correct avec nos clients, de rendre heureux nos employés, qui nous le redonnent en servant bien les clients, et de baisser les coûts de production».

Atrahan Transformation

Employés: 325

Activités: Abattage et transformation de porc

Ville: Yamachiche

Denis Trahan et son frère René gèrent l'entreprise fondée par leur père, Achille, en 1956. «Nous avons réussi à bâtir une équipe de direction solide, qui reste en place, dit Denis, président-directeur général. C'est rassurant, et tout le monde partage les mêmes objectifs.» Les Trahan misent sur une gestion d'investissement prudente. «Il n'y a jamais de dépassement de coûts», assure le PDG.

Atrahan affronte la récession fort d'une histoire particulière: en 53 ans d'existence, jamais l'entreprise n'a eu à faire de mise à pied par manque de travail. Et Atrahan n'en prévoit pas. «Au contraire, on cherche 50 employés», dit M. Trahan. Face à l'effondrement économique, Atrahan peut se rassurer: les gens devront continuer à manger, et le porc reste une viande relativement abordable. «Avec une gestion raisonnée, des investissements serrés, on s'en tire bien», dit Denis Trahan.

Les Industries Mailhot

Employés: 350

Activités: Cylindres et vérins hydrauliques

Ville: Terrebonne

Yvan Morin, qui a repris l'entreprise en 1982 (en pleine récession) et en est aujourd'hui président et directeur général, est fier des principes fondamentaux qui guident la gestion des Industries Mailhot: transparence, gestion par résultat et collégialité. Forte en recherche et développement, l'entreprise de Terrebonne se targue d'avoir fait d'un produit simple un produit à valeur ajoutée qui lui permet d'être en avance dans son marché.

En cette période de récession, les clients des Industries Mailhot voient leurs activités ralentir et retardent leurs livraisons. Pour y faire face, Yvan Morin se tourne vers des secteurs qui, estime-t-il, seront plus à l'épreuve de la récession, comme l'environnement ou l'enlèvement de la neige. S'il a dû procéder à une dizaine de mises à pied temporaires dernièrement, M. Morin a confiance dans les bases de la société. Et il tente de maintenir un esprit positif dans l'entreprise. «Il faut éviter la psychose de la récession.»

Radialpoint

Employés: 200

Activité: Services gérés de sécurité informatique

Ville: Montréal

En pleine croissance, Radialpoint a embauché une cinquantaine de personne depuis juin. Et elle cherche encore. Selon Geoffrey Bainbridge, vice-président aux ressources humaines de l'entreprise, cette croissance s'explique par la communication aux employés d'une stratégie, des objectifs et d'une vision claire. «On met aussi beaucoup d'efforts sur l'environnement de travail», dit M. Bainbridge.

Radialpoint n'est pas trop inquiété par la récession. L'entreprise vient de renouveler tous ses contrats, et le nombre d'abonnés internet continue de croître. «Internet est devenu un produit essentiel, une nécessité, dit M. Bainbridge. Et nous avons mis au point un produit stratégique pour les fournisseurs de services et leurs abonnés, qui nous assure des revenus continus.»

BBA

Employés: 500

Activités: Génie conseil et gestion de projet

Ville: Mont-Saint-Hilaire

En quatre ans, l'entreprise est passée de 225 à 500 employés. Ce qui fait sa force, selon son président et chef de la direction, Steeve Fiset, c'est la qualité de la relation avec les clients, une saine gestion financière, une culture de transfert des connaissances et l'engagement du personnel avec les objectifs de l'entreprise.

Certains des clients de BBA ont ralenti leurs activités et repoussé leurs projets. BBA a mis de l'avant plusieurs mesures d'adaptation comme le temps partagé, la réduction de salaires ou les congés pour retour aux études. Elle a repoussé certains investissements informatiques et resserré son contrôle de dépenses. N'empêche, l'entreprise a procédé à environ 70 mises à pied. Mais pour Steeve Fiset, il est essentiel de regarder vers l'avant pour traverser la récession de la meilleure des façons. «Il faut vraiment avoir une vision claire de l'entreprise après la crise, dit-il. Nous avons déjà déterminé quelle expertise on veut avoir et estimé quelle devrait être la demande au moment de la reprise.»