Ses collègues de travail m'avaient prévenue: Jianwei Zhang est si modeste qu'il pourrait refuser de parler de lui. Je le croyais sans peine, ayant déjà interviewé le discret président de Bombardier Chine. Mais lorsque je lui rapporte la remarque, il pouffe de rire.

«Je n'ai rien de modeste!» dit l'homme de 50 ans. En 1982, raconte-t-il sans détour, alors qu'il étudiait le génie, le gouvernement l'a proclamé l'élève modèle de la Chine pour ses bonnes notes, sa santé et son application au travail. «Mon nom était partout!» Jianwei Zhang ne se destinait pourtant pas à faire de longues études. À 18 ans, le gouvernement l'envoie à la campagne au Shandong, sa province natale. Pour «parfaire» son éducation, il laboure les champs avec les paysans de la région de Wucheng. Et il écrit des messages de propagande sur les murs. Ses paumes brûlées par la chaux qu'il mélange à mains nues en portent encore les marques.

On a tôt fait de remarquer ce travailleur infatigable. Jianwei Zhang est nommé membre de l'influent comité permanent du comté. À 19 ans, il est responsable de l'éducation et de la planification familiale.

C'est à cette époque que la Chine réintroduit l'examen national de sélection pour les universités, que le gouvernement avait cessé d'administrer durant la Révolution culturelle. «Pour donner l'exemple, comme leader local, j'ai passé le test. Heureusement ou malheureusement, j'ai eu un très bon score.»

Zhang Jianwei aimerait conserver son poste, mais son père, enseignant, l'encourage à pousser ses études. Il deviendra ingénieur puis professeur à l'Université de Tianjing, où il se spécialise dans le moteur à combustion interne. Puis, à la suite d'un autre examen national, il est l'un des rares choisis pour étudier au Canada. Il préférerait McGill, mais l'Agence canadienne de développement international l'envoie à HEC Montréal. C'est donc en français qu'il fera son MBÀ en études internationales et son doctorat en stratégie d'entreprise. Un français teinté d'un accent québécois sur lequel les professeurs de ses filles de 9 et de 14 ans, au Lycée français de Pékin, lèvent le nez!

C'est comme cela que Zhang Jianwei a abouti comme gestionnaire de projets au siège social de Bombardier voilà 12 ans.

Depuis son embauche, il n'a jamais pris de vacances, malgré les demandes répétées de la haute direction. C'est d'ailleurs un secret de Polichinelle dans les bureaux de Montréal: malgré les 12 heures de décalage, Jianwei, comme tout le monde l'appelle familièrement, peut être joint à presque n'importe quelle heure.

«Il y a tellement d'occasions d'affaires en Chine que je ne peux pas m'empêcher de travailler», dit-il. Ainsi, après être venu à Montréal avec sa famille en août, il est reparti moins de 24 heures après avoir déposé sa valise dans sa maison de Saint-Laurent. Retour express sur Pékin pour boucler des négociations très délicates. Il a caché à ses interlocuteurs chinois qu'il avait quitté le pays en prétextant que son portable était déréglé, ce qui expliquait que la communication soit distante...

Son allégeance à Bombardier n'a d'égale que sa fidélité à la Chine. «Ma mère est morte il y a quatre ans et je n'ai pas eu le temps de retourner la voir, raconte-t-il. J'ai une obligation morale et professionnelle envers Bombardier. Si je peux arracher un dollar de plus pour l'entreprise, je vais le faire. Mais je suis aussi chinois. Et je veux que le pays réussisse.»