Changement radical en matière de prévention des maladies cardiaques : l'American College of Cardiology et l'American Heart Association ne recommandent dorénavant plus à tous de prendre de l'aspirine quotidiennement, comme cela était le cas depuis des dizaines d'années.

«Je suis en pratique depuis 20 ans et on a toujours recommandé de l'aspirine», a dit le cardiologue Peter Guerra, qui enseigne à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Le changement annoncé en fin de semaine dernière est la conséquence directe d'études récentes qui ont remis en question la pertinence de cette approche. L'aspirine a un effet sur les plaquettes, et de grandes études ont constaté que le risque de saignements semble être plus grand que le bénéfice de prévention contre les maladies cardiaques.

Deux études publiées l'automne dernier par le prestigieux New England Journal of Medicine abondaient d'ailleurs en ce sens. Une a constaté que l'aspirine ne permettait pas de prévenir les premiers AVC ou les premières crises cardiaques chez les personnes à risque modéré.

Une autre a testé l'aspirine chez les personnes atteintes de diabète, qui sont plus susceptibles d'avoir des problèmes cardiaques ou d'en mourir, et a constaté que le bénéfice modeste noté s'accompagnait d'un risque accru de saignement grave.

Le changement est donc important, même s'il cible très spécifiquement les gens en santé.

«On remet en question la prise d'aspirine en prévention, c'est-à-dire pour les patients qui n'ont jamais eu d'événement cardiaque, a précisé le docteur Guerra. C'est une distinction qui est assez importante. Il est clair que les patients qui sont cardiaques et qui prennent de l'aspirine après un événement cardiaque [...] doivent continuer à prendre leur aspirine.»

À une certaine époque, poursuit-il, l'aspirine (le nom commercial pour l'acide acétylsalicylique ou ASA) était pratiquement vue comme une panacée, et on la recommandait à tous les gens âgés de 50 ans et plus.

Toutefois, des études et des méta-analyses réalisées au cours des dernières années «suggèrent que le bénéfice de l'aspirine n'est pas très bon pour les patients en prévention», a dit le docteur Guerra.

«Oui, ça diminue un peu les risques d'incident cardiovasculaire, mais pas de façon significative, a-t-il expliqué. L'effet sur la prévention est minime, particulièrement chez les gens qui n'ont pas de facteurs de risque. Le bénéfice est marginal chez les gens qui sont en parfaite santé.»

Les deux organisations américaines préviennent toutefois que l'aspirine pourra avoir une certaine place en prévention chez des patients dont le risque de maladie cardiaque est très élevé, mais que la question devra faire l'objet d'une discussion entre le patient et son médecin.

La Société canadienne de cardiologie avait émis des réserves quant à l'utilisation de l'aspirine à des fins préventives il y a quelques années. On peut maintenant s'attendre à ce qu'elle réaffirme sa position, croit le docteur Guerra.

En attendant, les gens en bonne santé qui s'inquiéteraient pour leur santé cardiaque auraient avantage à modifier leur alimentation, à bouger plus et à fumer moins, au lieu de courir à la pharmacie du coin se procurer de l'aspirine.

«Je ne recommande pas d'en prendre, a dit le docteur Guerra. Quand on donne un traitement en prévention, il faut vraiment faire attention qu'il n'y ait pas d'effets secondaires néfastes. Donner de l'aspirine en prévention, où le bénéfice est marginal au mieux, et où il y a un risque (de saignements), ça devient presque contradictoire.»