Identifier objectivement les patients souffrant de douleur chronique grâce à un enregistrement du cerveau. Et même les traiter. Voilà la promesse d’une nouvelle étude américaine sur la neurologie de la douleur chronique.

Ce qu’il faut savoir

  • Des chercheurs californiens ont découvert que la douleur chronique produit des changements dans le cerveau.
  • Ces changements cérébraux pourraient permettre un diagnostic objectif de la douleur chronique, ce qui est difficile actuellement.
  • L’objectif est de mettre au point un stimulateur électrique qui serait implanté dans le cerveau et préviendrait les épisodes de douleur, comme cela se fait pour la maladie de Parkinson.

« Les épisodes de douleur chronique sont prédits par certains changements dans le cerveau, que nous avons enregistrés avec des électrodes implantées dans le cerveau des patients », a expliqué lors d’une téléconférence de presse, plus tôt cette semaine, Prasad Shirvalkar, neurologue à l’Université de Californie à San Francisco (UCSF) et auteur principal de l’étude publiée dans la revue Nature Neuroscience. « C’est une première. »

La douleur chronique est l’une des maladies chroniques les plus répandues. Près d’un adulte américain sur cinq en souffre, selon une étude publiée l’hiver dernier dans le JAMA Network Open.

Cela est supérieur à la prévalence du diabète.

L’étude du DShirvalkar n’impliquait que quatre patients, suivis pendant trois à six mois. « Nous avons par contre des mesures de leurs épisodes de douleur et des enregistrements de leur activité cérébrale plusieurs fois par jour, dit le chercheur californien. Et les signaux que nous observons dans les deux zones du cerveau étudiées sont relativement semblables d’un patient à l’autre, même s’ils n’avaient pas les mêmes types de douleur. » L’un des patients avait été amputé d’une jambe et souffrait d’une douleur fantôme. Les autres avaient eu un AVC.

IMAGE FOURNIE PAR L’UCSF

Les zones de douleur des quatre patients étudiés. Trois d’entre eux ont eu un ACV (« post-stroke ») et le quatrième a été amputé d’une jambe (« phantom limb »). Le rouge signifie une douleur intense et le vert, une douleur moindre.

L’étude de Nature Neuroscience est unique en son genre, selon Yves de Koninck, neurobiologiste spécialiste de la douleur à l’Université Laval. « Si ça se confirme avec plus de patients, ça pourrait nous permettre de poser un diagnostic objectif de la douleur chronique. Et peut-être même de détecter la maladie avant son apparition et de la prévenir. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ LAVAL

Le neurobiologiste Yves de Koninck

L’un des grands problèmes de la douleur chronique est son caractère subjectif. « Souvent, les patients ne sont pas pris au sérieux parce que leur médecin ne peut rien détecter de physique, dit le Dr de Koninck. D’ailleurs, il ne faudrait pas tomber dans le panneau de dire “si vous n’avez pas ces biomarqueurs du cerveau, vous n’avez pas de douleur chronique”. Les douleurs d’origine différente auront peut-être des biomarqueurs neurologiques différents. »

Anticipation

Les deux régions étudiées sont le cortex cingulaire antérieur (CCA) et le cortex orbitofrontal (COF). « Les études antérieures ont surtout étudié les régions du cerveau associées à la perception physique, dit le DShirvalkar. Mais la douleur a aussi une dimension affective et cognitive. Le CCA est lié aux émotions et le COF, à la prise de décisions, donc aussi à la prédiction de l’avenir. Nous pensons que le COF est lié à l’appréhension de la douleur. Notre approche se fonde sur le fait que la neurologie de la douleur chronique est étudiée depuis les années 1950 sans qu’on ait trouvé de biomarqueur. » Des recherches sur les animaux ont montré l’importance du CCA pour la douleur.

L’électrode cérébrale est la même qui est utilisée pour la « stimulation cérébrale profonde » (SCP). « La SCP est utilisée pour le parkinson depuis les années 1990. Nous pensons que si les biomarqueurs sont confirmés, on pourrait utiliser la SCP pour la douleur chronique aussi », dit le DShirvalkar.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DE CALIFORNIE À SAN FRANCISCO

Le neurologue à l’Université de Californie à San Francisco (UCSF) Prasad Shirvalkar, auteur principal de l’étude sur la douleur chronique

Y a-t-il des risques à la SCP ? « Très rarement, dit le DShirvalkar. Et ça semble lié à la quantité d’électricité administrée. Nous pensons que si la SCP n’est administrée qu’épisodiquement, lorsque les biomarqueurs annoncent un épisode de douleur, les risques seront minimes. »

Il s’agit tout de même d’un traitement « de dernière chance », « même pas de deuxième ou troisième ligne ».

La prochaine étape est l’étude de 20 à 30 patients atteints de douleur chronique.

Optogénétique

En Europe, une stimulation magnétique externe au cerveau est utilisée contre la douleur, mais ses effets durent au maximum un mois, note le DShirvalkar. « Il faut alors revenir pour deux semaines de stimulation magnétique. »

Le laboratoire du Dr de Koninck travaille pour sa part à la neurostimulation par « optogénétique » pour contrer la douleur chronique. « On active, avec la lumière, certaines populations de cellules nerveuses sans en toucher d’autres, dit le chercheur de Québec. Avec une électrode, on touche toutes les cellules.

« Le Québec est l’un des berceaux de la recherche sur la douleur chronique. Les pionniers de la représentation mentale de la douleur par imagerie cérébrale, dans les années 1990, sont d’ici. »

En savoir plus
  • 40 %
    Risque de douleur chronique chez les personnes qui ne sont pas allées à l’université, par rapport à celles qui l’ont fréquentée
    Source : JAMA Network Open
  • 51 %
    Risque de douleur chronique chez les personnes de plus de 50 ans, par rapport aux adultes plus jeunes
    Source : JAMA Network Open