Les dernières données canadiennes et américaines le confirment : des populations de moins en moins âgées sont de plus en plus à risque de développer un cancer colorectal. Et les médecins sont en quête d’explications.

C’est une histoire qui se répète.

L’histoire d’hommes et de femmes souvent en pleine forme, qui n’ont pas encore atteint la mi-cinquantaine. L’histoire de symptômes qui font leur apparition. Quelques crampes abdominales. Une perte de poids. Du sang dans les selles.

À cet âge, ce n’est rien de grave, dit-on. Peut-être le stress ou des hémorroïdes.

Mais les mois passent et les symptômes persistent. Une colonoscopie s’impose.

Puis, le verdict tombe, comme une douche froide : cancer colorectal, stade avancé.

Cette histoire, Catherine Dubé l’a vue et revue ces dernières années. La gastroentérologue est responsable clinique du programme de dépistage colorectal de l’Ontario.

« C’est toujours un grand choc, voir des patients si jeunes atteints du cancer, insiste-t-elle. Ces diagnostics, on les garde en mémoire toute notre vie. »

Le choc est de plus en plus fréquent depuis quelques décennies. Les diagnostics de cancers colorectaux précoces sont en montée rapide dans plusieurs régions du monde. Selon un récent rapport de la Société américaine du cancer (ACS), le nombre de cas chez les moins de 55 ans augmente de 1 à 2 % chaque année aux États-Unis depuis 1995.

Au Canada, la hausse annuelle des différents types de cancers colorectaux chez les 20 à 49 ans a varié entre 1 et 4 % de 2000 à 2017, selon les dernières données publiées dans The American Journal of Gastroenterology (ces calculs excluent le Québec, par manque de données). Même son de cloche dans la plupart des pays industrialisés.

Comment expliquer ce phénomène ? La question est sur toutes les lèvres chez les gastroentérologues.

PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE DUBÉ

La Dre Catherine Dubé, gastroentérologue

On en parle beaucoup durant les rencontres avec nos collègues partout dans le monde. On est tous alarmés par cette situation. Tout le monde veut comprendre ce qui se passe.

La Dre Catherine Dubé, gastroentérologue

Effet de cohorte

Au Canada, le cancer colorectal est le troisième cancer en matière de fréquence, selon la Société canadienne du cancer.

Les plus âgés restent nettement plus à risque, note l’ACS dans son rapport. Chaque année, chez les 65 ans et plus, 161 personnes sur 100 000 reçoivent un diagnostic, comparativement à 69 personnes sur 100 000 chez les 50 à 64 ans et à 12 personnes sur 100 000 chez les 20 à 49 ans.

Toutefois, la hausse des cas chez les plus jeunes coïncide avec une baisse observée chez les plus vieux, notamment en raison des meilleures mesures de prévention.

« Il y a une augmentation des risques pour les personnes nées après les années 1950, qu’on appelle un effet de cohorte », explique Rebecca Siegel, directrice scientifique de l’ACS et co-autrice du rapport. « Nous essayons de comprendre les changements dans les produits auxquels les populations sont exposées depuis ces années. »

« Il faut aussi dire que ce type de cancer prend de 10 à 15 ans pour se développer, renchérit la scientifique. Donc, lorsqu’on voit des personnes de 30 ans diagnostiquées, cela signifie qu’elles ont été exposées [à des facteurs de risque] tôt dans leur vie. »

Des modes de vie qui changent

Élucider le mystère du cancer colorectal précoce sera un défi de taille, constate Manuela Santos, professeure au département de médecine de l’Université de Montréal. « Il faudrait suivre une population vraiment large et surveiller, par exemple, la diète et l’exposition à des facteurs environnementaux sur une longue période pour voir si, 10 ans plus tard, les gens développent un cancer. C’est difficile et coûteux. »

Pour fournir quelques pistes d’explications, la chercheuse, affiliée à l’Institut du cancer de Montréal, mise sur l’étude du microbiote intestinal. Cet ensemble de microorganismes est notamment affecté par la consommation grandissante d’antibiotiques chez les jeunes depuis quelques décennies.

PHOTO PRODUCTION MULTIMEDIA DU CHUM, FOURNIE PAR MANUELA SANTOS

Manuela Santos, professeure au département de médecine de l’Université de Montréal

Le microbiote, c’est un équilibre entre des bactéries bénéfiques et d’autres qui ne sont pas bonnes du tout. Les bonnes bactéries peuvent supprimer les effets nocifs des mauvaises. Mais avec les antibiotiques, on tue une grosse portion des bactéries bénéfiques, ce qui crée un déséquilibre.

Manuela Santos, professeure au département de médecine de l’Université de Montréal

Les changements dans les habitudes alimentaires ont aussi occasionné des transformations dans le microbiote. La consommation de boissons sucrées ou de produits transformés, par exemple, représente des facteurs de risque du cancer colorectal, selon plusieurs études.

Également au banc des accusés : les toxines environnementales, qui peuvent endommager le côlon.

Mieux vaut prévenir

Les cas de cancer colorectal chez les jeunes ne sont pas seulement plus fréquents. Ils sont aussi diagnostiqués à des stades plus avancés, selon les données de l’ACS.

Une étude publiée en 2017 par des chercheurs de l’Université de Stanford, en Californie, révèle d’ailleurs que chez les moins de 50 ans, le diagnostic tombe en moyenne 40 % plus tard que chez les plus vieux.

« Les jeunes attendent généralement plus avant de consulter un médecin, explique Rebecca Siegel. Et même les médecins pensent souvent que ce n’est rien de majeur, vu leur âge. »

PHOTO JEAN-PAUL PELISSIER, ARCHIVES REUTERS

Plusieurs pays optent pour un dépistage précoce du cancer colorectal.

Lorsque la maladie est détectée tôt, le taux de survie augmente considérablement, passant de 12 % en cas de diagnostic au stade 4 à 92 % lors d’un diagnostic au stade 1, selon la Société canadienne du cancer. Une lésion peut d’ailleurs être découverte et retirée avant même qu’elle ne se transforme en tumeur.

Plusieurs pays ont donc jeté leur dévolu sur le dépistage afin de tenter de pallier la hausse des cas. En 2021, les États-Unis ont baissé l’âge de début du dépistage à 45 ans, plutôt que 50 ans.

Au Québec, une motion adoptée à l’Assemblée nationale au début d’avril presse le gouvernement de déployer un programme de dépistage systématique. La province est la seule du Canada à ne pas être dotée de ce type de programme.

L’association des gastroentérologues du Québec en fait d’ailleurs la demande depuis plusieurs années déjà, sans succès. Une autre histoire qui se répète.

Lisez l’éditorial « Le Québec, société distincte du cancer colorectal »
En savoir plus
  • 26 900
    Nombre de Canadiens qui ont reçu un diagnostic de cancer colorectal en 2020.
    SOURCE : Société canadienne du cancer
    67 %
    Probabilité de survivre au moins cinq ans après un diagnostic de cancer colorectal au Canada.
    Source : Société canadienne du cancer
  • 20 %
    Proportion des diagnostics de cancer colorectal qui touchent des personnes de moins de 55 ans aux États-Unis, en date de 2019. En 1995, cette proportion était de 11 %.
    Source : Société américaine du cancer
    3 fois
    Le taux de mortalité associé au cancer colorectal aux États-Unis est trois fois plus élevé dans les communautés autochtones d’Alaska que parmi les populations blanches, notamment en raison des difficultés d’accès aux soins de santé et à une saine alimentation.
    Source : Société américaine du cancer